En visite à Dakar, le Président guinéen a saisi l’occasion d’un cocktail de presse pour apporter des précisions sur certaines questions. Alpha Condé parle sans porter de gants.
RELATION ENTRE LE SENEGAL ET LA GUINEE : «C’est au Sénégal seulement que j’ai fait 3 jours de visite.»
«J’ai décidé de faire une visite officielle au Sénégal pendant trois jours. C’est déjà beaucoup, parce que je n’ai jamais fait 48 heures. Mais, il était très important que le peuple guinéen et le peuple sénégalais se retrouvent et que le monde entier constate qu’il n’y a pas de nuages entre le Sénégal et la Guinée, surtout entre les peuples. Hier, j’étais comblé de voir la mobilisation sénégalo-guinéenne. Cela veut dire que les Présidents passent, les pays restent. Les Sénégalais ont commencé à venir en Guinée vers 1910 et ils sont restés. Il y a beaucoup de Guinéens au Sénégal. Donc, il est important que les relations entre la Guinée et le Sénégal soient renforcées. C’est pourquoi j’ai décidé de faire une visite officielle qui va durer au moins 3 jours. Je n’ai jamais fait trois jours dans un pays d’Afrique. C’est la première fois depuis mon élection. C’est pour montrer qu’il n’y a aucun problème entre le Sénégal et la Guinée.»
OPPOSANTS GUINEENS AU SENEGAL : «Je m’en fous que les chefs d’Etat reçoivent mes opposants.»
«Quand on a arrêté Abdoulaye Wade et Landing Savané, je suis venu dire à Abdou Diouf : «Grand frère, il faut les libérer.» Ensuite quand je revenais, j’allais chez Wade et la personne qui m’accompagnait était un gendarme. Donc pourquoi voulez-vous que je me formalise si les dirigeants sénégalais reçoivent l’opposition ! Mais, pour moi, ce n’est pas important de dire qu’il y a tension. Il y a eu tension lorsque Wade dit qu’on est en train de préparer un attentat contre moi. Mais avant ça, il y a eu le cas Dadis Camara. Le Président Wade a encouragé Dadis Camara. Il m’a dit que je ne viens plus, et je suis venu le voir. Je lui ai dit qu’on va discuter en tête-à-tête. Il m’a dit non. Comment peut-il encourager Moussa Dadis à garder le pouvoir, encourager l’Armée à garder le pouvoir ? Voilà le problème, c’est contre la démocratie en Guinée. Je m’en fous que les chefs d’Etat reçoivent mes opposants. Maintenant, il y a eu l’épidémie d’Ebola, mais à l’Union africaine, on manque de solidarité. Lorsqu’il y a un problème dans un pays, les autres pays n’apportent pas leur soutien.»
CLIVAGES ETHNIQUES : «L’ethnocentrisme n’est pas plus fort en Guinée qu’au Sénégal.»
«En 1958, trois pays de colonie française ont voulu voter «Non» pour avoir l’indépendance. Le Sénégal, le Niger et la Guinée. En Guinée, on a voté «Non» comme un seul homme. Mais, les ethnies qui étaient là à l’époque, ce sont toujours ces ethnies qui sont là. L’ethnocentrisme n’existe pas en Guinée chez les populations. Parce que les mariages entre les populations sont telles qu’on ne peut pas parler de conflits ethniques. L’ethnocentrisme, c’est l’effet des hommes politiques. Lorsqu’un homme politique a un programme crédible, il s’adresse à la raison, c’est-à-dire faire raisonner. Lorsqu’il n’a pas un programme crédible, il fait appel à la division. La réalité, c’est qu’en Guinée, on ment beaucoup. Et comme la majorité de la population n’a pas été à l’école, il est très facile de les tromper. Le véritable problème, ce sont les hommes politiques qui, pour la plupart, étaient des anciens Premiers ministres. L’ethnocentrisme n’est pas plus fort en Guinée qu’au Sénégal.»
DIALOGUE AVEC L’OPPOSITION : «La formule que j’ai proposée pour assurer la transition…»
«Le document qui a été élaboré à la suite du dialogue que la majorité a signé, a été signé par le représentant des Nation Unies, le Président de Cedeao, l’Ambassadeur de France, l’Ambassadeur de l’Union européenne. C’est cela, la communauté internationale. Maintenant, quel est le problème ? Les élections législatives, la coopération avec la Guinée, les pays l’avaient conditionnée à l’organisation des élections législatives, puisqu’on était en période de transition. Donc les élections législatives étaient une nécessité pour qu’on sorte de la transition. Et pour moi, perdre les élections législatives n’avait pas d’importance. Ce qui est important, c’est que la Guinée sorte de cette situation. Donc, nous avons fait beaucoup de concessions. Il y a eu des élections dans trois pays en même temps. Quel est le problème aujourd’hui ? Nous avons une Ceni et moi j’étais toujours contre une Ceni politique. Lorsque j’étais opposant, j’ai toujours dit que je veux une Ceni technique. J’ai fait une proposition, ensuite dans l’opposition, j’ai estimé que les gens qu’ils devaient combattre ce sont des gens qui ont pillé le pays. Mais à un moment donné, lorsque j’ai constaté que l’Armée voulait confisquer le pouvoir, je suis venu et je leur ai dit que j’ai une analyse dialectique. Donc, j’ai dit : «Donnons-nous la main pour empêcher la confiscation du pouvoir par l’Armée.» J’ai été plus loin. J’ai dit : «Prenons l’engagement utile qui va gagner, on va faire un gouvernement d’union nationale.» Donc la Guinée a tellement de retard qu’on a besoin de deux mandats d’union nationale. Nous pouvons aller aux élections après, chacun a son programme. Mais, on fait le minimum, c’était mon intention. Malheureusement, quand Cellou Dalein Diallo est venu à Dakar, il a dit qu’il ne peut pas travailler avec Alpha Condé. L’opposition a voulu une Ceni politique, la parité. Il y a une Loi organique qui a voté la parité, mais, une Ceni politique qui n’a pas la maîtrise technique.»
SOULEYMANE NDIAYE