Avec les élections présidentielles guinéennes programmées en octobre prochain, l’année 2015 s’annonce décisive pour le destin du pays et les chances d’une alternance politique.
Face à la volonté affichée d’Alpha Condé de se succéder à lui-même, concrétisée par la décision d’organiser des élections présidentielles avant les communales afin que le pouvoir en place puisse s’appuyer sur les délégations spéciales et chefs de quartiers nommés par ses soins, l’opposition avait décidé de marquer le coup.
Par leur «déclaration de Paris» du 23 mars 2015, les principaux leaders de l’opposition avaient fixé le cap en décidant la suspension de la participation des députés de l'opposition aux activités de l'Assemblée nationale, la non-reconnaissance de la CEN, la contestation ouverte des délégations spéciales et autres chefs de quartier illégalement installés par le pouvoir et la reprise des manifestations citoyennes pour exiger la satisfaction des revendications légitimes de l'opposition républicaine.
La situation a évolué au gré des évènements sans apporter un début de réponse aux revendications de l’opposition.
Cette dernière avait fixé deux préalables à tout dialogue avec le pouvoir, à savoir l’arrêt des activités de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et l’inversion du calendrier électoral afin que les communales aient lieu avant les présidentielles.
Qu’à cela ne tienne ! Sous la pression internationale et pour montrer ses bonnes dispositions démocratiques, elle est allée quand-même au dialogue sans avoir obtenu la moindre concession.
Elle a également suspendu ses manifestations pour préserver les chances de succès du dialogue qui se profilait à l’horizon depuis le 18 juin dernier. Ce semblant de dialogue, qui s’est un instant esquissé entre les protagonistes, a rapidement montré ses limites comme nous a habitués le régime actuel. Aucune avancée n’a été enregistrée sur les quatre points majeurs de l’ordre du jour que sont les délégations spéciales, l’inversion du calendrier électoral, la réforme de la CENI et l’assainissement du fichier électoral.
Pendant ce temps, les activités de la CENI se sont poursuivies comme si de rien n’était et de nouvelles sources de mécontentement sont apparues. Le recensement frauduleux a vu l’inscription massive sur les listes électorales des enfants mineurs en Haute Guinée et le faible enrôlement savamment orchestré dans les fiefs de l’opposition et à l’étranger. Le pouvoir continue à dérouler sa stratégie de hold-up électoral aux futures présidentielles.
La Guinée se retrouve aujourd’hui dans une situation de blocage total, le pouvoir d’Alpha Condé n’ayant jamais dans le passé honoré ses engagements qui ont été pris avec l’aval de la communauté internationale. Sa duplicité et le non-respect de sa signature font qu’il n’est plus crédible aux yeux de l’opposition et de l’opinion nationale. Son attitude laisse à penser qu’il cherche plutôt à gagner du temps et à occuper l’opposition avant l’échéance présidentielle d’octobre qui approche dangereusement.
La situation est assurément bloquée et dans ces conditions, toute alternance politique est impensable. Comment obtenir l’organisation d’élections inclusives, transparentes et libres en Guinée et réunir les critères indispensables pour une alternance politique apaisée? Telle est la seule question qui vaille aujourd’hui.
Examinons les différentes options possibles pouvant mener à une alternance démocratique apaisée. La plus logique, parce que la plus normale, demeure le dialogue politique. On peut aussi envisager des élections sous la supervision des Nations Unies si une solution interne ne se dégage pas ; cela s’est déjà fait ailleurs. Si l’opposition n’arrive pas à vendre cette solution, la troisième alternative qui se présente à l’opposition serait de redonner la parole à la rue et d’organiser des manifestations de l’expression populaire.
Il est communément admis qu’il ne peut pas y avoir de démocratie sans possibilité d’alternance politique et pas d’alternance apaisée sans élections transparentes. Les élections démocratiques exigent notamment des dirigeants qui ont des qualités d’homme d’Etat, une opposition forte et unie, des personnalités à la tête des organismes en charge des opérations électorales conciliant capacités intellectuelle et morale et expertise et une société civile et des médias menant des campagnes d’information impartiales des populations.
Réussir le dialogue politique signifie que les conditions objectives sont mises en place pour organiser des élections inclusives, libres et transparentes. Concrètement en Guinée, le pouvoir accepterait toutes les revendications de l’opposition et prendrait des mesures fortes pour une nouvelle CENI neutre et compétente, la reprise totale du fichier électoral avec un nouvel opérateur et l’organisation rapide d’élections locales.
On voit bien que cela relève de l’utopie et que cette situation nouvelle marquerait la fin du régime actuel. Son bilan économique et social catastrophique poussent les populations à le sanctionner. Alpha Condé ne disait-il pas lui-même qu’étant au pouvoir, il ne pouvait pas organiser des élections et les perdre. C’est pourquoi, il est illusoire de croire qu’un vrai dialogue peut aboutir dans la situation actuelle en Guinée. Le pouvoir peut lâcher du lest sur l’une des revendications prise séparément sans que cela ne remette en cause sa stratégie globale de hold-up électoral d’autant plus qu’il nous a habitué à ne jamais respecter ses engagements. Il n’acceptera jamais une refonte profonde de tout l’édifice qu’il a patiemment bâti pour se maintenir au pouvoir. En somme, le dialogue politique est dans l’impasse.
D’autres voies sont insuffisamment explorées. On entend parfois l’opposition demander à la communauté internationale l’application effective des accords passés qu’elle a avalisés dans une action de « service après-vente » en quelque sorte. Dans la situation d’insécurité ambiante en Guinée, de division et de partialité du régime pouvant dégénérer en instabilité chronique si le suffrage démocratique ne pouvait pas s’exprimer, il est opportun que l’opposition milite vigoureusement en faveur d’élections présidentielles sécurisées et supervisées par les Nations Unies comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire. Elle a pour elle les arguments internes et le contexte régional instable pour convaincre nos partenaires internationaux et imposer cette solution qui peut sauver la Guinée.
Le dernier recours pour une alternance démocratique si rien n’aboutit passera par les mouvements populaires pour changer la vie des guinéens. L’opposition peut élaborer une stratégie de planification de manifestations décisives jusqu’à la satisfaction de ses revendications et l’alternance politique. Il ne s’agit pas des manifestations sporadiques habituelles qui ont montré leurs limites mais d’un mouvement décisif, en lien avec la société civile, définissant des objectifs clairement assumés, qui tiendrait la distance et qui ne s’arrêterait pas en chemin tout en gagnant la bataille de la communication. Elle aura besoin d’une forte cohésion politique et de la mobilisation forte des populations sans distinction.
Bref, le dialogue politique guinéen est illusoire et l’implication des Nations Unies dans la sécurisation et la supervision des élections guinéennes constitue la solution la plus rationnelle et la plus apaisée possible. Elle est à rechercher rapidement. Autrement, les revendications populaires seront le dernier recours de l’expression du dialogue politique.
Telles sont les options qui s’offrent à la classe politique, en espérant qu’elle choisisse la solution la plus apaisée dans l’intérêt supérieur de la Nation, au risque d’ouvrir la boîte de pandore et de pousser la Guinée vers des horizons dangereux et incertains.
Mahmoudou BARRY, Paris/France