yaya_boiroLe 23 juin, s’est ouverte à la Cour d’appel de Conakry, la session d’assises du premier semestre 2014. Une ouverture tardive, qui aurait dû se passer en avril dernier. La dernière s’est déroulée du 17 février 2012 au 13 juillet 2014. Le dossier de l’attaque du 19 juillet 2011 contre la résidence privée d’Alpha Condé aura retenu l’attention, tant par la passion des débats et les zones d’ombre qui ont entaché la décision de la Cour contre les accusés. La présente session des assises a été présidée par le ministre guinéen de la Justice, Garde des Sceaux, Cheick Sacko. La famille judiciaire guinéenne s’est fortement mobilisée pour la circonstance.

Mais les premiers accusés ne commenceront à défiler devant la barre qu’à partir du mercredi, 25 juin. Seize dossiers sont inscrits au rôle. Selon le Procureur général de la Cour d’Appel, Hassane Diallo. Il s’agit surtout de dix cas d’association de malfaiteurs et vols à main armée, un cas de trafic de drogue, deux cas de viol, coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, une prise d’otage et complicité.

Dans son discours, le Président de la Cour d’Appel de Conakry, Yaya Boiro, a indiqué : « La tenue de cette session d’assises correspond à l’application des dispositions de la loi 037 du 31 décembre 1998, portant Code de procédure pénale. Il est prévu dans ce code, à son article 235, que la tenue des assises a lieu tous les quatre mois, avec possibilité de tenir des sessions supplémentaires ».

Le Bâtonnier de l’ordre des avocats, Me Boubacar Barry, a commencé son discours par l’adage : « Mieux vaut tard que jamais » avant de poursuivre en ces termes : « Elle (la présente session des assises) aurait dû s’ouvrir durant le premier semestre 2014. Il faut mettre cela peut-être sur le fait que le ministre vient d’arriver, il a dû reprendre les dossiers en main. Quoiqu’il en soit, c’est une initiative que le barreau salue. Nous espérons qu’à partir de là les choses vont rentrer dans l’ordre et que les sessions d’assises se tiendront régulièrement ».

Faute de moyens financiers, les assises se tiennent de façon irrégulière en Guinée. Même sous la présidence du Professeur de Droit, président de la République, Alpha Condé. Le président de la Cour d’Appel, Yaya Boiro affirme : « Pour que la loi soit suivie, les Cours d’assises de Conakry et de Kankan ont besoin de fonds suffisants, à défaut d’un budget spécial comme il se doit. » Parmi les défauts de la justice guinéenne, le magistrat a cité : « La lenteur, l’opacité, le manque de professionnalisme, d’indépendance et d’intégrité, sans compter les difficultés d’accès à cause des coûts élevés des frais de procédure. Les revendications de nos populations qu’elles soient légitimes ou non, mettent en évidence la nécessité d’une réformation de l’institution. Et dans ce cas, il appartient à notre justice qui est du reste la seule institution républicaine qui porte le nom d’une vertu, de s’accommoder de cette nouvelle réalité et de prendre, avant qu’il ne soit trop tard, les dispositions qui s’imposent, à savoir l’application rapide des recommandations des états généraux sur la justice et celles élaborées par les experts de l’Union européenne, dites Plan stratégique de formation en 2012, dont entre autres : l’installation du Conseil supérieur de la magistrature et l’application effective des statuts de la magistrature. » Pour lui, il est difficile d’obtenir une « justice prompte et impartiale lorsque les moyens sont insuffisants ou inexistants. L’absence de budget de fonctionnement paralyse le bon fonctionnement des juridictions. La justice manque cruellement de moyens. »

Selon Yaya Boiro, le défi de la présente session d’assises est de remédier à la criminalité. L’autre urgence sera de combler le déficit de magistrats et de greffiers dont souffre la justice. La Guinée n’a qu’environ trois cent magistrats et cent-trente-six greffiers. Soit un ratio de quatre magistrats pour cent mille habitants. Conséquences ? « Des juridictions comme Pita et Boffa ont été systématiquement paralysées dans leur fonctionnement, faute de greffier. Récemment, d’autres juridictions y compris la Cour d’appel de Conakry ont failli subir le même sort suite à la mise à la retraite anticipée de certains greffiers et ce en violation des statuts des greffiers. » Soulignons de passage que certains retraités ont été réintégrés par le ministre de la Justice.

Dans son réquisitoire, le Procureur général de la Cour d’appel, Hassane Diallo a plaidé pour des réformes profondes. « Je ne cesserai de clamer qu’il faut rendre modernes les forces de police judiciaire et la magistrature des parquets, que les enquêtes soient menées de manière scientifique et non empirique…Cela passe par la formation et la création de véritable laboratoire de police technique et scientifique » a-t-il précisé. C’est un leurre de vouloir un Etat de droit sans justice indépendante, impartiale et une police efficace et diligente, a-t-il asséné. «Le sentiment de justice est certes humain. Le sentiment d’injustice inflige la plus grande frustration que peut ressentir l’être humain dans son âme. Il serait juste qu’à chaque verdict rendu, qu’on puisse entendre : justice a été rendue, force est restée à la loi. Le ministère public qui représente la société a le devoir de requérir l’application rigoureuse de la loi à la hauteur de la gravité des infractions ayant troublé la quiétude et mis la sécurité en danger… Les délinquants semblent assurés de l’impunité. Au moment où ils prennent le pavé, les paisibles citoyens rasent les murs et se terrent angoissés. Nous devons retenir que c’est la force de la justice qui assurera la force de l’Etat ».

Les mots sont bien dits. Reste à savoir si les maux des citoyens vont être soulagés.

 

Aliou Sow pour www.guinee58.com