Dans trois mois environ, les guinéens et leurs hôtes de tous les horizons vont converger à Mamou pour célébrer la fête de l’indépendance du pays. Comme le veut une tradition presque établie, le risque est très fort que l’évènement se passe sur un fond d’infrastructures inachevées.
Le Fouta n’a pas le droit de damer le pion à Boké et Nzérékoré. Ce serait le témoignage surprenant d’une affection présidentielle discriminatoire vite perçue par l’opinion comme une application subite de la recommandation altruiste du Premier Imam de la Grande Mosquée Fayçal : « commencer tous les bienfaits par la Moyenne-Guinée, le fief du rival politique téméraire en échange d’une reconnaissance divine bénéfique et payante». Les élections qui approchent pourraient motiver chez le plus haut placé des guinéens, une incitation à souscrire sans calcul à ce conseil salvateur du chef musulman.
Le calendrier des entreprises chargées de réaliser les rénovations et autres replâtrages dans la région de Mamou vont dans un autre sens. Les réalisations suivent inexorablement la direction indiquée et le rythme s’inscrit aussitôt dans une lenteur concertée visiblement calculée pour ne rien achever jusqu’au 2 octobre 2014.
Ce que les guinéens savent faire, le mieux, a été vite fait : annoncer bruyamment des budgets astronomiques, prendre possession des marchés en cause, détruire les édifices existants, étaler des débris partout dans un désordre dégoûtant, déserter royalement les chantiers, constituer des commissions et sous-commissions, publier des arrêtés, célébrer des intentions et remercier le Président. Tout ceci est déjà fait et montré en bilan élogieux au public par la voie des ondes publiques. On a fait ce qu’un dicton du terroir a toujours interdit : « Bénir pour ce qu’on n’a pas encore mangé ». Jamais ce dicton ne s’est appliqué avec autant de résonnance à ceux qui le doivent à leurs ancêtres vraisemblablement plus vigilants que leur progéniture. Il reste à faire ce que les guinéens savent moins faire : construire des édifices durables et splendides!
Les chantiers en cours dans les trois préfectures de la région de Mamou reflètent cette limite aussi vieille que la journée de l’indépendance. Le calme y règne partout sous le regard interrogateur des passants et des bénéficiaires. Aux bureaux du gouvernorat de Mamou où quelque chose semble avoir démarré, on aperçoit deux ou trois ouvriers presque tous les jours au même endroit tenant des outils aratoires et perdus dans quelques tas d’agrégatstémoins. Les murs du bâtiment à rénover ne semblaient pas, il y a quelques jours, ressentir significativement cette présence. A moins que le début de la rénovation ait concerné en premier lieu, le sous-sol. Ailleurs, populations et autorités attendent, sans certitude d’une imminence quelconque, l’armée des entreprises sélectionnées pour effectuer les travaux. Il n’est pas interdit de rêver au miracle !
Tout pourrait se faire simultanément : mosquées, routes, bâtiments, maçonnerie, toiture, carrelage, électrification, équipement, embellissement, revêtement des chaussées urbaines… Alors, impossible ne serait pas guinéen ! En attendant les services administratifs préfectoraux délogés de leurs locaux habituels, errent à travers les villes concernées dans des installations qui se disputent la promiscuité, l’infortune et le délabrement. Les ressortissants de la zone en fête, associés à l’euphorie du démarrage enthousiaste et verbal des chantiers, ont déjà organisé quelques réunions de réception du don gouvernemental. Par endroits, on n’hésite pas à préconiser des sacrifices pour que se réalisent les promesses dans toute leur splendeur. L’initiative ne serait pas si insensée car des rumeurs insistantes font état de retenues obscures allant jusqu’au quart du financement total au profit de chantiers occultes pour des niveaux influents et bénis du tuyau de décaissement.
Les échelons intermédiaires et périphériques de suivi des réalisations n’auraient quant à eux, pas encore chuchoté leurs exigences spécifiques faute d’oreilles fiables sur le terrain pour les écouter. Les fabricants de rumeurs de corruption n’ont donc rien à divulguer comme accusations vraisemblables du côté de Mamou, Dalaba et Pita. Il est à souhaiter qu’il leur manque la matière première jusqu’à l’inauguration des édifices en vue. A Conakry, capitale de gestion des budgets, des décisions de décaissement et de production d’instructions de toutes sortes, le silence est plutôt lourd et frise l’indifférence. Nombre de membres des commissions de travail n’ont reçu aucun appel téléphonique les convoquant à une réunion sur le sujet. Ceux qui ont la charge de les convoquer auraient probablement quelques petits calculs à faire et une dose de prudence à observer. Chacun des cadres désignés reste à l’écoute de l’invitation fatidique, prêt à bondir sur l’occasion pour montrer ses talents oratoires et son amour tyrannique pour le pays et la Moyenne-Guinée. Cependant chacun d’eux est obligé de retenir douloureusement son ardeur patriotique. La course du temps et les délais programmatiques n’y peuvent rien ; les guinéens vont toujours à leur rythme quand il s’agit de travailler. Le niveau de souveraineté des décisions ne leur dit pas grandchose et ils n’ont cure du regard que le monde entier jettera sur leurs oeuvres !
D’innombrables chantiers éparpillés à travers le pays témoigneront longtemps encore de cette tare maléfique. Presque tous les ans de nouveaux abandons viennent en augmenter le nombre comme indicateur indélébile de l’inefficacité managériale de la plupart des membres de l’intelligentsia aux commandes. Les intentions étalées en projets éternellement mythiques, les va-et-vient et les échecs dans des domaines prioritaires pour l’amélioration des conditions de vie des populations sont omniprésents pour compléter le décor désolant d’un pays que la nature a initialement doté de tous les atouts pour prospérer.
Avant on tentait d’agir partout dans le pays, maintenant on parle à Conakry et on fait faire des tapages au profit des nantis à tous les coins de rue sous le regard impuissant d’une masse majoritaire silencieuse entrain de broyer une pauvreté fatale montante. Les guinéens ont heureusement pris leur mal en patience et disent à chaque occasion de rencontre : « nous sommes ensemble ! ». La décision de célébrer la fête du 2 octobre au Fouta puis, après un certain suspens, à Mamou ne semble pas improviser une exception. Les années n’arrivent pas à sortir la Guinée des réflexes endurcis de gestion approximative des choses et des hommes que des générations d’administrateurs malhabiles lui ont majoritairement imposés jusqu’à maintenant. C’est une constante que le temps de préparation de la fête à venir risque de ne pas pouvoir réduire à néant. En avant pour les prochaines étapes historiques !
Lamarana Diallo pour «Le Populaire»