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Le régime de l’indigénat :1898 – 1944  

Quand ils vinrent à bout des dernières résistances africaines, les colons dépecèrent les anciens royaumes et les partagèrent entre Français, Portugais et Anglais. Les dominions du Fouta-Djalon par exemple se retrouvent à cheval entre les nations actuelles de la Sierra-Léone, la Guinée et la Guinée-Bissau. A la place des structures étatiques existantes, des colonies sont artificiellement créées. Des cercles sont érigés pour déplacer les diiwes et autres circonscriptions traditionnelles avec des commandants français en tête.  Seul le diiwal de Labé est maintenu comme cercle colonial. Les chefs traditionnels sont dépouillés de leurs pouvoirs et investis de statuts symboliques. Parmi eux, les colons arrêtent ou bannissant les récalcitrants pour dompter le reste. La même sélection est opérée au niveau des chefs religieux. La pratique religieuse est encouragée comme moyen de subjugation des populations.

Pour donner un cadre juridique à l’exploitation coloniale, le statut de l’indigénat est mis en place. L’indigénat consista en une domination sans merci des populations colonisées considérées comme de second rang. Le système de travail forcé pudiquement appelé réquisition de main-d’œuvre est établi. Les chefs locaux constituent le corps d’intermédiaires du système. Les agents d’exécution furent les gardes de cercles. La réquisition emprunta des formes supplémentaires : le contingent des tirailleurs, la main-d’œuvre pénale qui consiste à utiliser les prisonniers pour divers travaux et l’impôt en prestations de jours de travail pour des chantiers publics : routes, pistes et terrains d'aviation. A cela s’ajoutera l’obligation de cultiver certains produits destinés à l’industrie de la métropole.

Sur le plan juridique et pénal, le régime de l’indigénat conféra aux commandants de cercle et aux chefs de cantons des pouvoirs non-contrôlés. Ils peuvent ainsi punir les indigènes sans procès contradictoires pour des infractions variables, multiples et capricieuses : manquements aux règles d'hygiènes, manifestations de résistance à l'ordre colonial, refus d'aider les autorités, non-respect des administrateurs, révolte, grèves ou incapacité de s’acquitter de l'impôt. Les peines consistaient à la prison, à des amendes ou aux châtiments corporels. Les guerres européennes (1914-18 et 1939-45) accentueront les rigueurs de l’indigénat. Les recrutements forcés de militaires dans les colonies pour suppléer aux armées françaises vaincues privent les économies locales de bras valides au moment où les colonies deviennent des sources forcenées de matières premières pour l’effort de guerre. L’agriculture vivrière est perturbée. Pour échapper aux extorsions multiples ou pour faire face aux rigueurs des impôts, des milliers de guinéens se réfugient dans les colonies anglaises. D’autres recourent aux travaux saisonniers dans les plantations de la Basse-Guinée où dans le bassin arachidier du Sénégal.  

Abolition de l’indigénat et mouvement d’émancipation des colonisés

Les rigueurs de l’indigénat furent violemment attaquées par les cadres africains à la fin de la deuxième guerre mondiale. La participation de l’Afrique pour sauver l’Europe du Nazisme avait été assortie de l’arrêt des abus coloniaux. En tout état de cause, l’Europe affaiblie par la guerre n’avait plus les moins de maintenir des empires coloniaux. Les défaites de l’armée française en Indochine contribuèrent à accélérer les courants d’émancipation. La France envisagea l’autonomie des pays colonisés et une marche graduelle vers l’indépendance.

Dans la colonie guinéenne, les anciennes associations régionales deviennent des courants politiques qui instaurèrent des débats et contribuèrent à ce qui est communément appelé « l’éveil africain ». Des cadres guinéens accèdent à des postes de responsabilité locale et au niveau du parlement de la métropole : d’abord dans une chambre spéciale et ensuite de plein droit comme députés. Sur la scène politique émerge le leader Yacine Diallo. Grace à lui, la Guinée rompt avec l’arriération et le glacis de l’indigénat. On assiste à un retour en masse des exilés guinéens. L’agriculture enregistre des progrès considérables. La Guinée deviendra le premier exportateur de bananes et se classe parmi les meilleurs pour d’autres agrumes. Yacine Diallo met en place des plans ambitieux d’industrialisation et d’électrification avec le Bassin de Konkouré. Il obtient des crédits pour l’éducation. Des écoles professionnelles sont érigées. Il y eut une nette amélioration de la santé avec des centres publics et des campagnes d’information sur l’hygiène et les vaccins.

Un corps législatif est mis en place pour contrôler l’exécutif colonial. Diallo Telli sera élu à sa tête comme secrétaire général de l’AOF. La loi-cadre accorda l’autonomie avec une gestion des affaires internes des colonies. Les progrès notoires dans l’éducation accentuèrent les questions d’indépendance.

La mort subite du leader Yacine Diallo en 1954 changea la nature des compétitions et des débats politiques. Sékou Touré se positionne pour récupérer le pouvoir que les colons étaient train d’abandonner. Il y parviendra avec l’aide du Gouverneur des Colonies Cornut-Gentilly. Ce dernier facilite son ascension dans le parti du PDG-RDA et lui assure l’impunité totale dans la violence qu’il met en place avec des milices. (Note 1)

1944 à 1958 -La destruction de l’expérience et de l’éveil démocratiques guinéens.

Après l’indépendance, le PDG continua le démantèlement des acquis de l’émancipation.  Graduellement, il soumet la Guinée à un indigénat larvé et d’autant plus nocif qu’il fut enrobé dans une logorrhée anticoloniale, de ferventes adhésions nationalistes et d’un capital de sympathie internationale.

La propagande du PDG impute au retrait subit de la France les faillites économiques de Sékou Touré. Une fausse narration a été développée sur le durcissement du régime de Sékou Touré qui serait dû au départ massif des colons, aux sabotages économiques et à des complots. Les tentatives de déstabilisation de la France se heurteront à de nombreux obstacles. Le premier est la mobilisation interne des cadres guinéens pour leur souveraineté. Les opposants souscrivent à la notion de gouvernement d’union nationale, croyant que l’émancipation de la Guinée du colonialisme valait bien mieux que des ambitions personnelles. Diawadou en particulier sauvera Sékou d’une mort certaine en refusant de cautionner un coup pour le renverser. Il payera de sa vie sa loyauté ; comme beaucoup d’autres. Le second obstacle vint de Etats-Unis. La période de l’indépendance coïncida avec le paroxysme de la guerre froide. Avec des aides économiques, les occidentaux et les pays de l’Est chercheront à attirer la Guinée dans leur camp – comblant rapidement le vide laissé par les français.  Soucieux d’empêcher un basculement de la Guinée dans le camp soviétique, les Etats-Unis mirent la pression pour ne pas que France ferme la porte entièrement à la Guinée. Ce n’est qu’en 1965 qu’il y aura une rupture définitive. Grace aux efforts de Diallo Telli et plus tard de Karim Bangoura l’aide américaine à la Guinée et les investissements seront substantiels. 

En plus de l’enthousiasme de la grande majorité des guinéens, une vague d’intellectuels accoururent de l’Europe, de l’Afrique et des caraïbes pour soutenir l’indépendance. En clair, les circonstances dont bénéficia la Guinée après l’indépendance étaient enviables et auraient pu être une plateforme d’essor économique. Mais rien en sera.

Comme il avait montré durant les années de son ascension politique - de 1952 à 1958 - Sékou Touré voulait un pouvoir absolu. Sa politique était exclusivement orientée vers cet objectif. Pour y arriver, il instaura un système de contrôle et de coercition pire que celui de l’indigénat. Il fallait pour ce faire ruiner les acquis de l’émancipation des colonisés. Yacine Diallo avait extirpé la Guinée de l’anonymat et mit la colonie au premier rang des récipiendaires d’investissements de la métropole. Son œuvre fut jetée dans l’oubli. Sur la tabula-rasa, l’histoire de la nation fut transformée en une hagiographie sur le NON du 28 Septembre 1958 dont Sékou Touré s’appropria dans une insidieuse imposture sur laquelle on reviendra (Note 1). 

Un pas décisif dans l’instauration du despotisme sera franchi avec la répression du corps enseignant et des élèves de 1961. Entre 1954 et 1958, le PDG avait accumulé de l’expérience dans la violence politique, bénéficiant notamment des moyens qu’octroyait l’autonomie. Il n’aura pas beaucoup de mal à instaurer la machine des complots pour écraser toute forme de compétition ou toute velléité de résistance. L’indépendance marqua la fin de la décennie de l’intermède démocratique et d’émancipation des colonisés. Avec le règne d’un indigénat d’inspiration locale, la Guinée entra dans la décadence. 

L’indigénat version PDG

Même déguisé sous les apparats de l’émancipation africaine, l’indigénat du PDG rappelle en pire les pires époques de la colonisation. Contrairement aux colons qui avaient officialisé la ségrégation avec le statut de l’indigénat, Sékou et le PDG ne s’embarrassèrent pas de formes ou de cadres juridiques.  Une mixture de démagogie patriotique, de communisme larvé et plus tard de totalitarisme prouva être suffisante pour assoir l’indigénat version PDG dont la Guinée porte encore les tares. Cet indigénat ne fit pas que refléter les pratiques de l’indigénat colonial. Sans équivoque, il dépasse en cruauté les pratiques des occupants étrangers. Le prouvent quelques faits établis, cités en vrac ci-après.

Le PDG et le démantèlement des structures sociales.

Après l’indépendance, malgré leur ralliement les familles régnantes sont soumises aux intimidations. Les deux Almamy Soriya et Alphaya à Timbo et à Dabola sont dépossédés des vestiges du pouvoir symbolique laissé par les colons. Tous les deux verront leurs enfants assassinés par le PDG (Barry Diawadou et frères ainsi que Modi Oury). L’Almamy Soriya sera mis en prison.

Les chefs religieux jugés récalcitrants sont exécutés : l’imam de Coronthie et des années plus tard l’imam de Labé, Tierno Mamadou Bah.  Les autres se soumettent à l’autorité du parti et sont utilisés comme moyens de subjugation des populations.

Les chefs de canton du régime colonial deviennent les bouc-émissaires de choix du PDG.

Les cercles créés par les colons seront rebaptisés régions sous l’autorité de commandants ou des gouverneurs. Le contrôle des citoyens sera multiple : par l’administration, les comités /sections et fédérations du parti et les milices. Tous ont droit de vie et de mort sur les citoyens. Ces derniers peuvent être emprisonnés sur des simples dénonciation, des soupçons ou des velléités de résistance. La timidité dans l’ardeur révolutionnaire devint le crime passe-partout pour oppresser n’importe quel guinéen.

Sous le couvert de l’émancipation des femmes, les codes des familles traditionnelles sont ruinés. Les femmes et les filles sont endoctrinées sans bénéficier d’aucune promotion. Elles sont plus utilisées à des fins de propagande par le PDG.

Servitude et exploitation économique de l’indigénat du PDG

Au même titre que les colons, le PDG instaura la réquisition de main-d’œuvre sous le vocable « investissement humain ». Les présidents de comités de base et les membres des instances du parti en firent des moyens de corruption et d’arbitraire contre les citoyens.

La main-d’œuvre pénale continua dans les domiciles des dignitaires du parti et de l’état ainsi que pour divers travaux urbains ou suburbains

Du fait de la chute des exportations, la monnaie perdait de sa valeur régulièrement. L’état imposa des impôts en nature : grains, cheptel et fruits sont spoliés des paysans. La famine fit ravage dans les campagnes et conduisit à l’exode vers les villes. Sur ordre de Sékou Touré, Keita Fodéba ordonna des rafles sous le prétexte de lutter contre l’exode rural. Des centaines de citoyens mourront en prison du fait des mauvais traitements et de l’entassement dans des cellules exiguës. L’exode vers les pays voisins s’accentua avec des villages entiers migrant nuitamment malgré les ordres de tirer à vue aux frontières.

Des vagabonds et des chômeurs furent enrôlés dans la milice avec quartier libre pour contraindre les citoyens à participer aux incessantes manifestations du parti.

Le commerce local fut étatisé ; les magasins et boutiques privés sont pillés sous l’incitation de l’état. Les commerçants sont traités de voleurs et soumis aux quolibets et à la risée des populations dans le folklore et les slogans du parti. La plupart des commerçants chercheront à se reconvertir dans l’agriculture. Leurs premières récoltes seront saisies et vendues à des prix arbitraires imposés par l’état. En 1964-1965, l’agriculture jadis florissante de la Guinée subit un coup fatal.

Le système judiciaire l’indigénat du PDG

Dès 1961, le métier d’avocat fut interdit en Guinée. Les responsables du parti et de l’état se dotèrent ainsi de pouvoirs non-contrôlés. Comme sous le régime de l’indigénat, ils peuvent emprisonner les guinéens sans procès contradictoire pour des infractions spéciales, variables dans le temps et l’espace. Il n’y a pas de limite d’âge aux arrestations.  Il n’existe pas de possibilité d'appel. Les dépostions sont faites sous la torture : bastonnades, courant dans les parties génitales et diète noire. Les exécutions des personnes sont publiques avec l’hystérie populaire mandatée et orchestrée par le parti. Les dépouilles des victimes ne sont jamais rendues à leurs familles. Les biens des victimes sont confisqués et distribués aux dignitaires du parti tandis que leurs femmes sont courtisées par les tortionnaires.

La tribalisation du pouvoir, des infractions et des peines.

Au temps de l’indigénat colonial, les peines pouvaient être collectives, c'est-à-dire qu’elles étaient appliquées à un groupe entier quand les responsables ne sont pas identifiés. Avec l’indigénat du PDG, c’est l’ethnie qui est ciblée par la politique même quand les « coupables » ont « avoué » leurs crimes ; comme les peuls de la Guinée le savent.

L’indigénat de l’indépendance et son défi.

Enseignement et santé publique, infrastructures et petites industries, arbitraire contre les citoyens avec un ciblage ethnique etc., il n’y a aucun secteur (social, économique, culturel) où l’indépendance s’est traduite par une amélioration.  Cela n’empêche pas des responsables politiques et des guinéens de caresser le mensonge de l’exceptionnalisme du « NON » au référendum de 1958 et celui d’exemple que la Guinée aurait donné au reste de l’Afrique. L’hagiographie du vote est figée dans le temps. Elle occulte le fait que le référendum hâtif fut une fraude électorale massive et que le vote du NON est une fiction.  Les mythologies sur le personnage de Sékou Touré ne sont que des refuges des nostalgiques inconditionnels du totalitarisme. Il est impossible de nier ou de masquer sa faillite. 

Dans l’amère ironie dont les cycles de l’histoire ont le secret, les massacres et les viols du 28 septembre 2009 ont révélé au monde la face hideuse de notre histoire. Comme par capillarité le pourrissement en profondeur de la nation a opéré une remontée à la surface. De quelque façon qu’on le présente, les agents de sécurité responsables des odieux crimes de ce jour ne sont que des sous-produits du démantèlement de l’éducation et de la domestication de l’armée avec une culture de milice que le PDG mit en place pour la survie de son chef. 

Se dorloter dans la fausse légende d’exemple de l’Afrique c’est refuser d’accepter le parcours inverse et vicieux que la Guinée a opéré : celui de l’émancipation des colonisés à l’indigénat du PDG. C’est accepter implicitement ou non de s’embourber dans ce chaos sans fin. Pour s’en extirper, la nation devrait faire de chaque 28 septembre une journée de réflexion: sur les occasions ratées, les combats non-livrés, les détours vers les chemins de l’erreur et des tragédies de notre nation. Chaque jour et en particulier le 28 Septembre, chaque guinéen devrait faire un serment intime et des vœux publics d’explorer les voies et moyens de mettre fin au pouvoir de la pègre que le PDG instaura dans notre pays. C’est un hommage dû aux innombrables victimes de ce régime et de ses succédanés.

 

Ourouro Bah

 

PS :

 

·         Le présent texte est issu d’un programme radio de Pottal-Fii-Bhantal sur Radio Fréquence Gandal sur le bilan de l’indépendance de la Guinée.

 

·         Note 1) Dans une prochaine livraison on abordera les compromis avec les colons et la violence impunie qui permirent l’ascension politique de Sékou Touré.

 

 

Rappels historiques

Le régime de l’indigénat :1898 – 1944

Quand ils vinrent à bout des dernières résistances africaines, les colons dépecèrent les anciens royaumes et les partagèrent entre Français, Portugais et Anglais. Les dominions du Fouta-Djalon par exemple se retrouvent à cheval entre les nations actuelles de la Sierra-Léone, la Guinée et la Guinée-Bissau. A la place des structures étatiques existantes, des colonies sont artificiellement créées. Des cercles sont érigés pour déplacer les diiwes et autres circonscriptions traditionnelles avec des commandants français en tête.  Seul le diiwal de Labé est maintenu comme cercle colonial. Les chefs traditionnels sont dépouillés de leurs pouvoirs et investis de statuts symboliques. Parmi eux, les colons arrêtent ou bannissant les récalcitrants pour dompter le reste. La même sélection est opérée au niveau des chefs religieux. La pratique religieuse est encouragée comme moyen de subjugation des populations.

Pour donner un cadre juridique à l’exploitation coloniale, le statut de l’indigénat est mis en place. L’indigénat consista en une domination sans merci des populations colonisées considérées comme de second rang. Le système de travail forcé pudiquement appelé réquisition de main-d’œuvre est établi. Les chefs locaux constituent le corps d’intermédiaires du système. Les agents d’exécution furent les gardes de cercles. La réquisition emprunta des formes supplémentaires : le contingent des tirailleurs, la main-d’œuvre pénale qui consiste à utiliser les prisonniers pour divers travaux et l’impôt en prestations de jours de travail pour des chantiers publics : routes, pistes et terrains d'aviation. A cela s’ajoutera l’obligation de cultiver certains produits destinés à l’industrie de la métropole.

Sur le plan juridique et pénal, le régime de l’indigénat conféra aux commandants de cercle et aux chefs de cantons des pouvoirs non-contrôlés. Ils peuvent ainsi punir les indigènes sans procès contradictoires pour des infractions variables, multiples et capricieuses : manquements aux règles d'hygiènes, manifestations de résistance à l'ordre colonial, refus d'aider les autorités, non-respect des administrateurs, révolte, grèves ou incapacité de s’acquitter de l'impôt. Les peines consistaient à la prison, à des amendes ou aux châtiments corporels. Les guerres européennes (1914-18 et 1939-45) accentueront les rigueurs de l’indigénat. Les recrutements forcés de militaires dans les colonies pour suppléer aux armées françaises vaincues privent les économies locales de bras valides au moment où les colonies deviennent des sources forcenées de matières premières pour l’effort de guerre. L’agriculture vivrière est perturbée. Pour échapper aux extorsions multiples ou pour faire face aux rigueurs des impôts, des milliers de guinéens se réfugient dans les colonies anglaises. D’autres recourent aux travaux saisonniers dans les plantations de la Basse-Guinée où dans le bassin arachidier du Sénégal.   

Abolition de l’indigénat et mouvement d’émancipation des colonisés

Les rigueurs de l’indigénat furent violemment attaquées par les cadres africains à la fin de la deuxième guerre mondiale. La participation de l’Afrique pour sauver l’Europe du Nazisme avait été assortie de l’arrêt des abus coloniaux. En tout état de cause, l’Europe affaiblie par la guerre n’avait plus les moins de maintenir des empires coloniaux. Les défaites de l’armée française en Indochine contribuèrent à accélérer les courants d’émancipation. La France envisagea l’autonomie des pays colonisés et une marche graduelle vers l’indépendance.

Dans la colonie guinéenne, les anciennes associations régionales deviennent des courants politiques qui instaurèrent des débats et contribuèrent à ce qui est communément appelé « l’éveil africain ». Des cadres guinéens accèdent à des postes de responsabilité locale et au niveau du parlement de la métropole : d’abord dans une chambre spéciale et ensuite de plein droit comme députés. Sur la scène politique émerge le leader Yacine Diallo. Grace à lui, la Guinée rompt avec l’arriération et le glacis de l’indigénat. On assiste à un retour en masse des exilés guinéens. L’agriculture enregistre des progrès considérables. La Guinée deviendra le premier exportateur de bananes et se classe parmi les meilleurs pour d’autres agrumes. Yacine Diallo met en place des plans ambitieux d’industrialisation et d’électrification avec le Bassin de Konkouré. Il obtient des crédits pour l’éducation. Des écoles professionnelles sont érigées. Il y eut une nette amélioration de la santé avec des centres publics et des campagnes d’information sur l’hygiène et les vaccins.

Un corps législatif est mis en place pour contrôler l’exécutif colonial. Diallo Telli sera élu à sa tête comme secrétaire général de l’AOF. La loi-cadre accorda l’autonomie avec une gestion des affaires internes des colonies. Les progrès notoires dans l’éducation accentuèrent les questions d’indépendance.

La mort subite du leader Yacine Diallo en 1954 changea la nature des compétitions et des débats politiques. Sékou Touré se positionne pour récupérer le pouvoir que les colons étaient train d’abandonner. Il y parviendra avec l’aide du Gouverneur des Colonies Cornut-Gentilly. Ce dernier facilite son ascension dans le parti du PDG-RDA et lui assure l’impunité totale dans la violence qu’il met en place avec des milices. (Note 1)

1944 à 1958 -La destruction de l’expérience et de l’éveil démocratiques guinéens.

Après l’indépendance, le PDG continua le démantèlement des acquis de l’émancipation.  Graduellement, il soumet la Guinée à un indigénat larvé et d’autant plus nocif qu’il fut enrobé dans une logorrhée anticoloniale, de ferventes adhésions nationalistes et d’un capital de sympathie internationale.

La propagande du PDG impute au retrait subit de la France les faillites économiques de Sékou Touré. Une fausse narration a été développée sur le durcissement du régime de Sékou Touré qui serait dû au départ massif des colons, aux sabotages économiques et à des complots. Les tentatives de déstabilisation de la France se heurteront à de nombreux obstacles. Le premier est la mobilisation interne des cadres guinéens pour leur souveraineté. Les opposants souscrivent à la notion de gouvernement d’union nationale, croyant que l’émancipation de la Guinée du colonialisme valait bien mieux que des ambitions personnelles. Diawadou en particulier sauvera Sékou d’une mort certaine en refusant de cautionner un coup pour le renverser. Il payera de sa vie sa loyauté ; comme beaucoup d’autres. Le second obstacle vint de Etats-Unis. La période de l’indépendance coïncida avec le paroxysme de la guerre froide. Avec des aides économiques, les occidentaux et les pays de l’Est chercheront à attirer la Guinée dans leur camp – comblant rapidement le vide laissé par les français.  Soucieux d’empêcher un basculement de la Guinée dans le camp soviétique, les Etats-Unis mirent la pression pour ne pas que France ferme la porte entièrement à la Guinée. Ce n’est qu’en 1965 qu’il y aura une rupture définitive. Grace aux efforts de Diallo Telli et plus tard de Karim Bangoura l’aide américaine à la Guinée et les investissements seront substantiels.

En plus de l’enthousiasme de la grande majorité des guinéens, une vague d’intellectuels accoururent de l’Europe, de l’Afrique et des caraïbes pour soutenir l’indépendance. En clair, les circonstances dont bénéficia la Guinée après l’indépendance étaient enviables et auraient pu être une plateforme d’essor économique. Mais rien en sera.

Comme il avait montré durant les années de son ascension politique - de 1952 à 1958 - Sékou Touré voulait un pouvoir absolu. Sa politique était exclusivement orientée vers cet objectif. Pour y arriver, il instaura un système de contrôle et de coercition pire que celui de l’indigénat. Il fallait pour ce faire ruiner les acquis de l’émancipation des colonisés. Yacine Diallo avait extirpé la Guinée de l’anonymat et mit la colonie au premier rang des récipiendaires d’investissements de la métropole. Son œuvre fut jetée dans l’oubli. Sur la tabula-rasa, l’histoire de la nation fut transformée en une hagiographie sur le NON du 28 Septembre 1958 dont Sékou Touré s’appropria dans une insidieuse imposture sur laquelle on reviendra (Note 1).

Un pas décisif dans l’instauration du despotisme sera franchi avec la répression du corps enseignant et des élèves de 1961. Entre 1954 et 1958, le PDG avait accumulé de l’expérience dans la violence politique, bénéficiant notamment des moyens qu’octroyait l’autonomie. Il n’aura pas beaucoup de mal à instaurer la machine des complots pour écraser toute forme de compétition ou toute velléité de résistance. L’indépendance marqua la fin de la décennie de l’intermède démocratique et d’émancipation des colonisés. Avec le règne d’un indigénat d’inspiration locale, la Guinée entra dans la décadence.

L’indigénat version PDG

Même déguisé sous les apparats de l’émancipation africaine, l’indigénat du PDG rappelle en pire les pires époques de la colonisation. Contrairement aux colons qui avaient officialisé la ségrégation avec le statut de l’indigénat, Sékou et le PDG ne s’embarrassèrent pas de formes ou de cadres juridiques.  Une mixture de démagogie patriotique, de communisme larvé et plus tard de totalitarisme prouva être suffisante pour assoir l’indigénat version PDG dont la Guinée porte encore les tares. Cet indigénat ne fit pas que refléter les pratiques de l’indigénat colonial. Sans équivoque, il dépasse en cruauté les pratiques des occupants étrangers. Le prouvent quelques faits établis, cités en vrac ci-après.

Le PDG et le démantèlement des structures sociales.

Après l’indépendance, malgré leur ralliement les familles régnantes sont soumises aux intimidations. Les deux Almamy Soriya et Alphaya à Timbo et à Dabola sont dépossédés des vestiges du pouvoir symbolique laissé par les colons. Tous les deux verront leurs enfants assassinés par le PDG (Barry Diawadou et frères ainsi que Modi Oury). L’Almamy Soriya sera mis en prison.

Les chefs religieux jugés récalcitrants sont exécutés : l’imam de Coronthie et des années plus tard l’imam de Labé, Tierno Mamadou Bah.  Les autres se soumettent à l’autorité du parti et sont utilisés comme moyens de subjugation des populations.

Les chefs de canton du régime colonial deviennent les bouc-émissaires de choix du PDG.

Les cercles créés par les colons seront rebaptisés régions sous l’autorité de commandants ou des gouverneurs. Le contrôle des citoyens sera multiple : par l’administration, les comités /sections et fédérations du parti et les milices. Tous ont droit de vie et de mort sur les citoyens. Ces derniers peuvent être emprisonnés sur des simples dénonciation, des soupçons ou des velléités de résistance. La timidité dans l’ardeur révolutionnaire devint le crime passe-partout pour oppresser n’importe quel guinéen.

Sous le couvert de l’émancipation des femmes, les codes des familles traditionnelles sont ruinés. Les femmes et les filles sont endoctrinées sans bénéficier d’aucune promotion. Elles sont plus utilisées à des fins de propagande par le PDG.

Servitude et exploitation économique de l’indigénat du PDG

Au même titre que les colons, le PDG instaura la réquisition de main-d’œuvre sous le vocable « investissement humain ». Les présidents de comités de base et les membres des instances du parti en firent des moyens de corruption et d’arbitraire contre les citoyens.

La main-d’œuvre pénale continua dans les domiciles des dignitaires du parti et de l’état ainsi que pour divers travaux urbains ou suburbains

Du fait de la chute des exportations, la monnaie perdait de sa valeur régulièrement. L’état imposa des impôts en nature : grains, cheptel et fruits sont spoliés des paysans. La famine fit ravage dans les campagnes et conduisit à l’exode vers les villes. Sur ordre de Sékou Touré, Keita Fodéba ordonna des rafles sous le prétexte de lutter contre l’exode rural. Des centaines de citoyens mourront en prison du fait des mauvais traitements et de l’entassement dans des cellules exiguës. L’exode vers les pays voisins s’accentua avec des villages entiers migrant nuitamment malgré les ordres de tirer à vue aux frontières.

Des vagabonds et des chômeurs furent enrôlés dans la milice avec quartier libre pour contraindre les citoyens à participer aux incessantes manifestations du parti.

Le commerce local fut étatisé ; les magasins et boutiques privés sont pillés sous l’incitation de l’état. Les commerçants sont traités de voleurs et soumis aux quolibets et à la risée des populations dans le folklore et les slogans du parti. La plupart des commerçants chercheront à se reconvertir dans l’agriculture. Leurs premières récoltes seront saisies et vendues à des prix arbitraires imposés par l’état. En 1964-1965, l’agriculture jadis florissante de la Guinée subit un coup fatal.

Le système judiciaire l’indigénat du PDG

Dès 1961, le métier d’avocat fut interdit en Guinée. Les responsables du parti et de l’état se dotèrent ainsi de pouvoirs non-contrôlés. Comme sous le régime de l’indigénat, ils peuvent emprisonner les guinéens sans procès contradictoire pour des infractions spéciales, variables dans le temps et l’espace. Il n’y a pas de limite d’âge aux arrestations.  Il n’existe pas de possibilité d'appel. Les dépostions sont faites sous la torture : bastonnades, courant dans les parties génitales et diète noire. Les exécutions des personnes sont publiques avec l’hystérie populaire mandatée et orchestrée par le parti. Les dépouilles des victimes ne sont jamais rendues à leurs familles. Les biens des victimes sont confisqués et distribués aux dignitaires du parti tandis que leurs femmes sont courtisées par les tortionnaires.

La tribalisation du pouvoir, des infractions et des peines.

Au temps de l’indigénat colonial, les peines pouvaient être collectives, c'est-à-dire qu’elles étaient appliquées à un groupe entier quand les responsables ne sont pas identifiés. Avec l’indigénat du PDG, c’est l’ethnie qui est ciblée par la politique même quand les « coupables » ont « avoué » leurs crimes ; comme les peuls de la Guinée le savent.

L’indigénat de l’indépendance et son défi.

Enseignement et santé publique, infrastructures et petites industries, arbitraire contre les citoyens avec un ciblage ethnique etc., il n’y a aucun secteur (social, économique, culturel) où l’indépendance s’est traduite par une amélioration.  Cela n’empêche pas des responsables politiques et des guinéens de caresser le mensonge de l’exceptionnalisme du « NON » au référendum de 1958 et celui d’exemple que la Guinée aurait donné au reste de l’Afrique. L’hagiographie du vote est figée dans le temps. Elle occulte le fait que le référendum hâtif fut une fraude électorale massive et que le vote du NON est une fiction.  Les mythologies sur le personnage de Sékou Touré ne sont que des refuges des nostalgiques inconditionnels du totalitarisme. Il est impossible de nier ou de masquer sa faillite.

Dans l’amère ironie dont les cycles de l’histoire ont le secret, les massacres et les viols du 28 septembre 2009 ont révélé au monde la face hideuse de notre histoire. Comme par capillarité le pourrissement en profondeur de la nation a opéré une remontée à la surface. De quelque façon qu’on le présente, les agents de sécurité responsables des odieux crimes de ce jour ne sont que des sous-produits du démantèlement de l’éducation et de la domestication de l’armée avec une culture de milice que le PDG mit en place pour la survie de son chef.

Se dorloter dans la fausse légende d’exemple de l’Afrique c’est refuser d’accepter le parcours inverse et vicieux que la Guinée a opéré : celui de l’émancipation des colonisés à l’indigénat du PDG. C’est accepter implicitement ou non de s’embourber dans ce chaos sans fin. Pour s’en extirper, la nation devrait faire de chaque 28 septembre une journée de réflexion: sur les occasions ratées, les combats non-livrés, les détours vers les chemins de l’erreur et des tragédies de notre nation. Chaque jour et en particulier le 28 Septembre, chaque guinéen devrait faire un serment intime et des vœux publics d’explorer les voies et moyens de mettre fin au pouvoir de la pègre que le PDG instaura dans notre pays. C’est un hommage dû aux innombrables victimes de ce régime et de ses succédanés.

Ourouro Bah

PS :

·          Le présent texte est issu d’un programme radio de Pottal-Fii-Bhantal sur Radio Fréquence Gandal sur le bilan de l’indépendance de la Guinée.

·          Note 1) Dans une prochaine livraison on abordera les compromis avec les colons et la violence impunie qui permirent l’ascension politique de Sékou Touré.