boko_haramLe président nigérian Muhamadu Buhari a demandé l'arrestation de l'ex-conseiller pour la sécurité nationale, le colonel Sambo Dasuki. Celui-ci, déjà en résidence surveillée, est accusé d'avoir détourné l'équivalent de deux milliards de dollars destinés à la lutte contre Boko Haram. Il aurait notamment passé des commandes fictives d'avions et d'hélicoptères de combat. C'est notamment ce que révèle une commission chargée d'auditer les dépenses militaires de ces huit dernières années.

Le président nigérian n'a pas caché son écœurement en découvrant les révélations du rapport de la commission d'enquête. « Si les fonds siphonnés avaient été employés dans le but auxquels ils étaient destinés, des milliers de vies innocentes auraient été sauvées », a-t-il déclaré.

Selon ce rapport, le conseiller à la sécurité nationale, Sambo Dasuki est au cœur d'un vaste réseau de détournement de fonds. Son bureau a reçu en quelques années 5,3 milliards de dollars pour équiper l'armée. Mais selon la présidence, seule une faible partie de cet argent est réellement arrivée à destination. Sambo Dasuki a conclu des contrats fictifs pour un montant global d'environ deux milliards de dollars. Il a notamment passé de faux contrats pour l'achat de quatre chasseurs de type Alpha Jet et douze hélicoptères de combats.

Personne n'a la moindre trace de ces équipements et l'argent s'est évanoui. Il aurait en outre demandé à la Banque centrale de transférer 132 millions de dollars sur des comptes en Afrique de l'Ouest.

Dasuki, qui fut durant trois ans conseiller à la sécurité national de Goodluck Jonathan, était un homme-clé du régime jusqu'à son limogeage en juillet dernier par le président Buhari. S'il est, selon la commission, la cheville ouvrière de cet immense détournement de fonds publics, il n'est pas le seul mis en cause par le rapport. Pour l'heure, les autorités taisent les noms des autres responsables de crainte qu'ils ne prennent la fuite.

« Un secret de polichinelle »

Muktar Dan'Iyan, spécialiste des questions de défense, contacté par RFI, estime que la corruption au sein du Bureau du conseiller sécurité était un secret de polichinelle :

« Ce qui se passait dans le bureau de l'ancien conseiller national pour la sécurité était un secret de polichinelle. Beaucoup d'argent y entrait mais très peu en ressortait. Et les troupes nigérianes sont clairement sous équipées ou mal équipées. Un exemple : lorsqu'un gilet pare-balles reçoit un impact, il faut le changer, car il n'est plus efficace, tous le monde sait cela. Mais certains de nos soldats ont des gilets pare-balles qui comportent plusieurs impacts ! Autre chose, on leur donne des munitions périmées, ou des fusils qui ne sont plus aux normes ou qui s'enrayent », rapporte l'expert.

« Je ne dis pas que tous les équipements de l'armée ne sont plus aux normes, mais ce qui s'est produit c'est une dilution du niveau de qualité, poursuit-il. Par exemple, on commande 1 000 fusils mitrailleurs, mais sur les 1 000, seuls 300 sont neufs, les autres sont d'occasion. Et le plus triste, c'est que tout ça n'est pas un problème budgétaire, une question de manque de moyens. Non. L'argent était là, mais il n'a pas été utilisé correctement. »

Cet argent a été « largement détourné », analyse Marc-Antoine de Montclos, professeur à l'Institut français de géopolitique à Paris et chercheur à l'IRD. « Il y a même pu avoir des intérêts mafieux qui visaient à prolonger le conflit pour mettre la main sur la manne, estime-t-il. Parce que l’année dernière c’est plus de 5 milliards de dollars qui étaient consacrés aux forces de sécurité. C’est une somme considérable qui fait beaucoup d’envieux. Il est clair que quoiqu’il en soit de l’élection de Buhari, la corruption n’est pas du tout terminée au sein de l’institution militaire. »

Néanmoins, Marc-Antoine de Monctlos appelle aussi à la prudence dans cette affaire Dasuki. Car derrière une histoire de corruption pourrait se cacher des raisons autrement plus complexes. « Dasuki c’est un cas un peu particulier parce que c’est un des officiers qui avaient arrêté Buhari lors du coup d’état de Babangida en 1985. Donc il y a beaucoup de gens qui soupçonnent Buhari de vouloir ainsi régler des comptes. Donc attention, je ne sais pas s’il faut vraiment faire de Dasuki un exemple national. Il peut y avoir derrière ce genre d’arrestations des choses qui ne tiennent pas forcément à la lutte contre la corruption. »

RFI