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L’opposition guinéenne peut-elle gagner les prochaines présidentielles? Les travaux d’Hercule qui l’attendent.

Un être cher aujourd’hui disparu m’a dit un jour que la Guinée est le sixième continent. Il trouvait que notre pays ne ressemble à aucun autre et que tout y est étrange, difficile et illogique.

 

La signature de l’accord politique inter-guinéen du 20 août dernier, alors que tout semblait irrémédiablement bloqué, sans qu’aucune avancée majeure n’ait été obtenue par l’opposition (assainissement du fichier électoral et recomposition de la CENI), accrédite cette analyse d’un pays sens dessus, sens dessous. Alpha Condé n’a jamais semblé aussi près de sa réélection pour un second mandat présidentiel. Il apparaît aujourd’hui comme le grand gagnant des négociations et le favori alors que personne n’aurait parié sur lui il y a quelques mois. Son bilan catastrophique à tous points de vue et sa vision rétrograde, néfastes pour l’unité nationale, semble occulté par l’habileté de ses maneouvres politiciennes peu contrées par l’opposition.

 

Les signataires semblent avoir oublié que le pouvoir actuel n’a jamais honoré ses engagements passés et que la communauté internationale, facilitatrice des négociations, n’a pas montré le moindre zèle pour leur application effective. Autrement dit, l’opposition ne peut compter que sur elle-même. Le pouvoir actuel n’a aucun intérêt à se suicider en assainissant le fichier électoral qui le condamnerait à sa perte. Il a tout à perdre en créant un climat de confiance, de neutralité de l’administration et de sécurité en vue du déroulement d’élections inclusives, libres et transparentes. Ayant mis en place méthodiquement une machine à frauder, il cherche à temporiser, à réaliser des corrections à la marge sur le fichier électoral et à faire accepter sa victoire inéluctable annoncée par une opération de communication.

 

Rien de positif ne sortira de ces accords et l’opposition ne devrait pas compter sur des avancées dans ce domaine. Dans ces conditions, cette dernière apparaît pieds et poings liés. Elle n’a plus devant elle que deux options et devra rapidement trancher.

Le choix le plus logique et le plus facile qui vient à l’esprit c’est de boycotter in fine les élections présidentielles en partant du constat que le fichier électoral ne sera finalement pas assaini.

 

Une alternative s’offre à elle. Elle est à même de concevoir et de mettre en action une stratégie gagnante qui s’apparente aux « douze travaux d’Hercule » mais néanmoins tout à fait réalisable. Inscrivons-nous dans cette dernière perspective et voyons ce qu’il y a lieu de faire dans l’essentiel pour donner un avenir à la Guinée.

 

Si l’opposition réussit à la fois à créer un élan fédérateur et à mettre en place une organisation rigoureuse de couverture et de sécurisation des bureaux de vote jusqu’à la proclamation des résultats, elle aura réussi à jeter les jalons pour l’emporter aux prochaines présidentielles.

 

Le plus urgent pour elle, c’est de reprendre la main autour d’un projet fédérateur. Il lui revient de monter au créneau et de montrer qu’elle représente l’avenir de la Guinée. Le pouvoir solitaire et le bilan catastrophique d’Alpha Condé, la dictature, les détournements des deniers publics, la misère, l’insécurité et la division sont des thèmes qu’elle pourra exploiter à fond et qu’elle rappellera sans cesse aux populations.

 

L’opposition mettra en avant l’urgence de la situation guinéenne et la similitude des solutions proposées sur l’essentiel par les différents projets de ses partis. L’opposition plurielle doit accréditer l’idée qu’au fond elle a le même programme de gouvernement pour redresser le pays qui se trouve au fond du trou. Partant de cette réalité, il apparaît indispensable d’aller au bout du raisonnement et de proposer dès maintenant un projet de gouvernement d’union nationale à élaborer et à valider par tous les partis d’opposition. Il inclura notamment un volet de partage du pouvoir, les postes de premier ministre et de président de l’assemblée nationale revenant par exemple d’office aux autres partis. L’engagement d’unité autour du candidat de l’opposition présent au second tour sera évidemment recherché.

 

L’accord immédiat de tous n’allant pas de soi, ce projet pourra au départ être porté par un parti qui servira de locomotive. Ce dernier recherchera le soutien des partis qui ne présentent pas de candidat à cette élection. Le peu de candidats inscrits à cette compétition présidentielle est une opportunité pour constituer un pôle d’attraction autour de lui. Il lui reviendra de vulgariser ce projet et de le hisser au centre des débats dès la campagne du premier tour. Il servira le moment venu de base de négociation de toute l’opposition et voire au-delà pour aborder le second tour en position de force.

 

Pour donner toutes ses chances à cette stratégie, l’opposition doit mettre en place les conditions de sécurisation du vote. Elle doit empêcher les fraudes massives organisées pour l’élection d’Alpha Condé dès le premier tour. Rien n’étant mis en oeuvre par le pouvoir pour des élections inclusives, libres et transparentes sur la base d’un fichier électoral assaini, il lui revient de sécuriser ses voix et d’être présente au deuxième tour.

 

Elle peut se donner les moyens d’être effectivement présente dans tous les bureaux de vote afin de s’assurer que ses ­­­partisans accèdent librement aux urnes et que les électeurs du pouvoir remplissent toutes les conditions pour voter.

Ce volet complexe englobe la formation des agents électoraux, le contrôle du dépouillement et de la proclamation des résultats en passant par la surveillance des bureaux de vote, sans oublier la communication des résultats en temps réel par un système de communication adéquat en lien avec la presse, les radios et les télévisons.

Les partis d’opposition ont intérêt à mutualiser leurs moyens pour être efficacement présents sur toute l’étendue du territoire national.

Ce mécanisme est l’alternative qui s’offre à l’opposition pour corriger les effets du fichier électoral corrompu et de maîtriser tout le processus électoral miné et sous contrôle du pouvoir.

 

Projet de gouvernement d’union nationale fédérateur et sécurisation des votes sont les deux conditions complémentaires de la victoire de l’opposition aux futures élections présidentielles guinéennes. S’ils ne sont pas au rendez-vous, elle aurait tout à perdre à accompagner la victoire frauduleuse orchestrée par Alpha Condé.

 

Mahmoudou BARRY, France