militaire_francaisEn Centrafrique, l'affaire des viols présumés commis par des soldats français sur des mineurs prend de l'ampleur. Alexis Nguitte serait à l'origine des six premiers témoignages d'enfants qui disent avoir été abusés sexuellement par des soldats. Il raconte les premiers pas de l'enquête, au début de l'année 2014.

Alexis Nguitte gère un centre dédié à la protection de l'enfance sur le site de l'aéroport de Mpoko, dans le camp de déplacés. Ils sont encore 18 000 à s’entasser sur cet immense terrain vague. C'est par hasard en janvier 2014 qu’il entend parler de possibles viols d'enfants du camp par des soldats français :

 

« C’est au fort moment des faits, ça tonnait de tous côtés et les gens étaient cloitrés sur le site, les enfants tenaillés par la faim, leurs parents n’arrivant plus à faire à leurs besoins vitaux étaient contraints de sortir du camp pour aller écumer les décharges publiques. Selon ce que les enfants nous ont raconté, c’était : " si tu veux le biscuit, tu suces mon 'mbangala' et je te donne à manger. D’accord ? " Et un enfant, en face d’une question fermée comme ça, tenaillé par la faim… Qu’est-ce qu’il peut faire ? »

 

Cet instituteur de formation consigne par écrit une série d'entretiens détaillés avec plusieurs enfants, victimes présumées ou témoins. Il prévient en premier l'ONG Première Urgence-Aide médicale internationale qui gère le site de déplacés. A son tour, l'ONG alerte l'ONU. Des agents du bureau droits de l'homme du Binuca (Bureau intégré des Nations unies en Centrafrique), l'ancêtre de la Minusca, entament alors, avec l'Unicef, leur propre enquête jusqu'en juin.

 

Plusieurs alertes ont été lancées

 

Dans le camp et chez les travailleurs humanitaires, les rumeurs concernant des enfants violés par des soldats français enflent. « Alexis Nguitte n'avait pas été le seul à nous alerter. Des parents et nos relais sur place nous parlaient de cela aussi », confie une source de l'ex-Binuca. Selon l'ONG Première Urgence-Aide médicale internationale, un de ses cadres aurait même été contacté par un gendarme français dès la fin juin à ce sujet.

 

Le 29 juillet, le rapport préliminaire de l'ONU est transmis aux autorités françaises. Le parquet de Paris est saisi et une enquête préliminaire est ouverte le 31. Des gendarmes prévôtaux, les seuls habilités à enquêter sur des cas impliquant l’armée française, arrivent à Bangui et commencent leurs auditions début août.

 

Alexis Nguitte dit avoir été auditionné pendant de longues heures : « Il fallait faire en quelque sorte la contre-expertise des interviews que j’ai eues. On a repris le travail que j’avais fait avec les enfants, au cas par cas en respectant les standards. Ils ont sortis une liste. Puis, pour un enfant X par exemple, je donnais les renseignements à propos de l’enfant et ils vérifiaient. Je donnais son âge, qu’est-ce que je connais à propos de l’enfant X. Quand c’était fini pour l’enfant X, ils le rayaient de la liste et passaient au suivant. »

 

Les récits recueillis par Alexis Nguitte sont donc à l'origine de la mission conjointe de l'ONU et de l'Unicef sur place entre mai et juin 2014. Il dit avoir été auditionné le 3 août de la même année. Aujourd’hui, il dit être déçu. « J’ai remué ciel et terre pour alerter les bonnes personnes, dit-il, et malgré cela l’enquête n’a pas avancé d’un pouce. » Il espère que la fuite du rapport va obliger la justice à accélérer les investigations.

S'ils sont poursuivis, les soldats français seront jugés par la justice française

 

En juillet 2014, le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur des accusations de viols d'enfants mettant en cause 14 soldats français déployés en Centrafrique. A Bangui, le procureur de la République Ghislain Gresenguet a ouvert une information judiciaire. Une enquête sera donc menée en Centrafrique, mais la suite judiciaire, s'il devait y en avoir une, se ferait en France.

 

Un accord signé le 18 décembre 2013 est clair. Il concerne le statut des Français déployés en Centrafrique sous mandat onusien dans le cadre de l'opération Sangaris. L’article 3 du document stipule, en effet, que si les membres du personnel de détachement français bénéficient d’immunités identiques à celles accordées aux experts en mission par la convention de 1946 sur les privilèges des Nations unies, « ces immunités ne sauraient les exempter de la juridiction de la partie française ».

 

Ainsi, les soldats mis en cause dans cette affaire, s’ils devaient être poursuivis, le seraient donc en France et non devant un tribunal militaire. En effet, une loi entrée en vigueur en janvier 2012 a dissout le tribunal des armées. Il revient donc désormais au Tribunal correctionnel ou à la Cour d'assises de Paris de juger les soldats. En matière criminelle, ils le seront devant des magistrats professionnels et non devant un jury populaire. « Le principal est que la justice soit rendue », estime le procureur de la République à Bangui qui espère bientôt pouvoir entendre lui aussi les victimes présumées et les potentiels témoins.

RFI