mortBientôt cinq ans après les faits, de nombreux Guinéens restent traumatisés par le Massacre du 28?septembre 2009. Ce jour-là, plus de 150 personnes sont tuées, des centaines d’autres blessées et des dizaines de femmes violées. Aujourd’hui, la justice a encore beaucoup à faire. Témoignage.

29 avril 2013, 17 h. Réunion au siège de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), à Bambeto, quartier de la banlieue de Conakry, pour discuter avec les victimes et les cadres de l’association des derniers développements de l’instruction ouverte à la suite du massacre du stade de Conakry. Un massacre qui a fait plus de 150 victimes parmi des manifestants pacifiques pendant que plus d’une centaine de femmes était violée en plein jour, au cœur de la capitale.

 

Avec Martin Pradel, avocat français travaillant à titre gracieux aux côtés de ses confrères guinéens pour accompagner les victimes devant la justice, et Amadou, Aboubacar et Boussouriou, les membres de l’équipe locale, nous entrons dans les locaux de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH). Là, nous apprenons, au téléphone, qu’après plusieurs semaines d’attente, Monsieur T., gendarme, vient enfin d’être appréhendé par la police militaire et déféré au tribunal de Conakry II, où il a été inculpé et placé sous mandat de dépôt.

C’est la première fois dans cette affaire et dans l’histoire de la justice guinéenne qu’un élément des forces armées est mis en cause pour des violences sexuelles. Madame B., 49 ans, violée aux abords du stade le 28 septembre 2009 par trois hommes en uniforme, avait réussi à dépasser ses craintes pour se constituer partie civile et, accompagnée par les avocats de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et de l’OGDH, dénoncer l’un de ses violeurs qu’elle avait pu identifier. Depuis sa déposition, Madame B., qui bénéficie de mesures de sécurité mises en place par nos organisations, est soulagée. De savoir l’un de ses agresseurs en prison, mais aussi d’avoir pu lui faire face au cours d’une confrontation judiciaire où le rapport de force s’est enfin inversé. Pourtant, cette avancée ne doit pas occulter les difficultés d’une justice qui, situation inédite en Guinée, doit juger les auteurs de ces crimes et rétablir les victimes dans leurs droits.

RETOUR SUR LES FAITS

 

Le 28 septembre 2009, des milliers de manifestants pacifiques se rassemblent au stade de Conakry. Ils protestent contre la volonté affichée par le chef de la junte militaire installée au pouvoir par la force à la mort de Lansana Conté, le capitaine Moussa Dadis Camara, de se présenter à l’élection présidentielle qu’il avait promis d’organiser avant de se retirer du jeu politique. Alors qu’à l’intérieur du stade les leaders politiques de tous bords se succèdent à la tribune pour appeler à des élections libres et indépendantes, plusieurs véhicules remplis de militaires, des bérets rouges de la garde présidentielle lourdement armés, convergent vers l’enceinte sportive. Arrivés sur place, ils ouvrent le feu sur les manifestants, piégés, qui tombent par dizaines. Pendant plusieurs jours, des femmes arrêtées au stade sont séquestrées par des militaires et violées. De nombreuses personnes sont torturées après avoir été arbitrairement arrêtées, sans compter les innombrables boutiques pillées à travers la capitale.

 

Ces crimes s’inscrivent dans une longue histoire de violences politiques. Le pays a traversé, depuis son indépendance en 1958, cinquante années de dictature. Il reste connu pour la répression politique de Sékou Touré, incarnée par le Camp Boiro, un camp militaire au cœur de la capitale où étaient enfermés, torturés et le plus souvent exécutés les opposants supposés du régime. Connu, aussi, pour cette image terrifiante des pendus du pont du 8 novembre, où les corps de quatre opposants ou supposés tels étaient restés suspendus, le 25 septembre 1971, au-dessus du principal axe routier de la capitale..

UNE MOBILISATION SANS PRECEDENT

 

Après une importante mobilisation de la société civile guinéenne, de la communauté internationale et l’ouverture d’une analyse préliminaire par la Cour pénale internationale, la justice guinéenne se saisit du dossier et ouvre, le 1er février 2010, une enquête judiciaire sur les crimes commis au stade de Conakry. Trois juges d’instruction sont désignés pour faire la lumière et établir les responsabilités. Mais très vite, les difficultés apparaissent : pas ou peu de dispositifs de sécurité pour les magistrats, des moyens très limités pour conduire leur enquête et, surtout, une actualité politique qui paralyse la procédure. Entre juin et décembre 2010, au moment de l’élection présidentielle, le dossier est laissé en sommeil.

 

Ces difficultés n’ont pas empêché l’OGDH de recenser les victimes, de les orienter vers les juges et, dans les cas les plus graves, de chercher des solutions de prise en charge médico-sociale. Des centaines de personnes sont ainsi entendues par l’association, formant un corpus de témoignages et d’informations inestimable. Très tôt également, des associations de victimes se constituent, pour faire face à une situation de grande détresse après la perte et parfois la disparition de proches, mais aussi pour faire front devant le peu de volonté affichée par les autorités guinéennes de leur rendre justice. Ainsi naissent l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa), l’Association des familles de disparus (Afadis) ou l’Associations des femmes victimes du massacre (Afevima), pour ne citer qu’elles.

COMMENT SORTIR DE L’IMPUNITE

 

Cette volonté de la société civile guinéenne de ne pas laisser impunis les crimes commis au stade se heurte rapidement aux pesanteurs de la justice nationale et, au-delà, à une question récurrente en Guinée : comment en finir avec l’impunité et obtenir enfin un procès satisfaisant ? C’est dans ce cadre que la FIDH et l’OGDH ont décidé de mettre en place, en 2011, une équipe dédiée et un collectif d’avocats guinéens et internationaux. Depuis, près de 400 victimes sont représentées dans ce dossier, dont la plupart ont pu être entendues par les juges en présence d’un avocat.

 

L’équipe dédiée, c’est Amadou, un juriste militant de longue date de l’OGDH, et Boussouriou, un informaticien autodidacte engagé depuis le lendemain des événements dans l’assistance aux victimes. C’est aussi Aboubacar, responsable administratif toujours prêt à accueillir les victimes bien au-delà de sa mission initiale, ou Alseny, un jeune stagiaire, fraîchement diplômé et préférant la voie incertaine de la défense des droits humains à des offres d’emploi dans le secteur privé. Grâce à eux, et à leur travail quotidien d’audition, d’enquête, parfois de cartographie, nous avons obtenu des succès inespérés. À force d’informations transmises aux juges et de plaidoyer auprès des autorités nationales, de très hauts responsables ont pu être formellement mis en cause, dont celui qui occupe, aujourd’hui encore, la tête de la sécurité présidentielle.

 

En 2012, la FIDH et l’OGDH portent plainte dans deux autres affaires d’importance, tout aussi symboliques de la violence d’État : la répression des manifestations de janvier et février 2007, ayant fait au moins 200 morts, et des tortures commises, dans la cour d’une gendarmerie, contre 17 personnes en octobre 2010. Signe que la situation évolue, des procédures sont rapidement ouvertes et les victimes entendues. En 2013, dans la seconde affaire, l’ancien chef d’état-major des armées, l’ancien chef de la garde présidentielle et le gouverneur de Conakry ont été inculpés. Bientôt, le dossier devrait être renvoyé devant la chambre d’accusation.

 

Mais le plus dur reste à faire : organiser, dans les meilleurs délais, des procès équitables, apporter des réparations aux victimes et écarter les acteurs de cette impunité longtemps institutionnalisée. Seule une volonté politique renouvelée et une activité judiciaire renforcée permettront à la Guinée d’y parvenir. Avec, à la clé, un profond changement : faire que la peur change de camp et que, désormais, de pareils crimes ne puissent être commis. n

 

Antonin Rabecq,

Délégué de la FIDH en Guinée et en Côte d’Ivoire.

http://www.amnesty.fr