fievre_ebola_2Elle s’appelle Safi. Elle a 24 ans. C'est une survivante. Elle a survécu à Ebola. Safi c’est un nom d’emprunt, car elle préfère témoigner en anonyme en raison de la stigmatisation des malades d'Ebola. Aujourd’hui elle vient en aide aux malades du centre de traitement mis en place par Médecin sans frontière à Conakry. Safi, est notre invitée...une héroïne. Elle répond aux questions d’Olivier Rogez.

 

Olivier Rogez : Safi, vous êtes enseignante en philosophie. Vous avez contracté le virus Ebola au mois de mars dernier. Et vous êtes une survivante de ce virus. Racontez-nous dans quelles conditions vous l'avez contracté?

 

Safi : En mars, nous avons reçu la visite d’un cousin à la maison. Il était malade et nous a dit qu’il avait la fièvre typhoïde. Comme il habitait en province, il est venu à Conakry pour se faire soigner et malheureusement pour la famille, il avait le virus Ebola.

 

Dans la famille, combien de personnes ont été contaminées?

 

Il y a six personnes qui ont été contaminées. Trois sont mortes et trois ont survécu.

 

Tout le monde avait été en contact physique avec ce parent venu de province?

 

Oui, parce qu’en Afrique, quand il y a un malade, chacun veut le dorloter (...) On compatit à sa douleur. Donc à chaque fois, il y avait une personne pour le masser, lui caresser la tête, une autre personne est à son chevet, juste en soutien. J’étais sa cousine, donc si son frère n’était pas à son chevet, c’était moi. Donc à chaque fois, que ce soit au niveau de la tête, que ce soit au niveau du corps, c’était moi qui le massais.

 

Quand vous êtes tombée malade, vous êtes venue ici?

 

C’est le lendemain de l’enterrement que j’ai commencé à avoir mal à la tête. Et c’est le surlendemain de l’enterrement qu’on a pris le départ du village pour Conakry, la capitale. Dans la voiture, je ne me sentais pas bien. J’ai signalé à mon père que je ne me sentais pas bien, j’avais trop mal à la tête. Et curieusement, malgré les produits que j’avais l’habitude de prendre, « paraphyse ou paracétamol », mon mal ne faisait qu’augmenter. J’avais dit que dès que nous serions rentrés, il fallait qu'on me conduise directement à l’hôpital. Et coïncidence, un cousin qui était venu nous rendre visite, est médecin. C’est ainsi qu’on m’a emmenée au service des maladies infectieuses, le 24 mars. J’ai fait des prélèvements et j’ai attendu les résultats. Résultats qui ne m’ont jamais été annoncés. Je savais que j’étais malade. Mais Ebola était le dernier de mes soucis. Non seulement je ne savais pas que cela existait, mais je ne savais même pas que c’était le virus Ebola que j’avais. Donc je suis rentrée à l’hôpital le 24 mars et en suis sortie le 6 avril.

 

Guérie?

 

Oui.

 

Personne ne vous a dit que vous aviez Ebola à l’époque?

 

Non. A ma sortie de l’hôpital, on ne m’a pas dit que j’avais Ebola. Le jour de la sortie, les collègues de chambre parlaient d’Ebola. L’une demande à l’autre : « Toi tu aimes trop le mot Ebola ? C’est Ebola que tu as. C’est Ebola que nous tous avons ». J’entends cela et demande « c’est quel machin ça ? Je suis d’accord, on est malade et c’est grave. Mais moi, je dois sortir. Vous parlez Ebola, c’est quoi, expliquez-moi ». Mais eux-mêmes n’avaient pas les informations nécessaires à me donner. Je dis aujourd'hui « merci » aux médecins soignants à l’époque de ne m’avoir rien dit. Parce que si j’avais su que j’avais Ebola et su qu’il n’y avait ni vaccin, ni soins, je ne sais pas ce que j’aurais fait moi-même…

 

Arrivée à la maison, je me suis reposée. A 16 heures, il fallait aller saluer et souhaiter mes condoléances à la femme du petit frère de mon copain qui était décédée ici. Mais lors de ce déplacement, certaines personnes que j’avais l’habitude de croiser, de leur faire des accolades, me tournaient le dos. Quand je faisait « coucou, comment vas-tu ma puce ? »On ne me répondait même pas (...) A mon retour à la maison, à 17 heures, le quartier était plein de monde. Les gens me regardaient avec étonnement, la bouche ouverte, ils étaient ébahis. Je voulais savoir quel était le problème. La suite c’est la famille qui me l’a racontée : « Ta mort était déjà annoncée dans le quartier. Sur le chemin du retour, tu as croisé des personnes qui étaient venues pour nous présenter leurs condoléances. En plus de cela, à cause de la maladie Ebola dont tu souffrais, la famille a été stigmatisée totalement. Tout le monde venait puiser de l’eau dans notre puits. Aujourd’hui, personne ! Les gens ont fermé leurs fenêtres parce qu’ils disent qu’Ebola, c’est dans l’air, et donc en ouvrant les fenêtres, nous pouvions les contaminer ».

 

Est-ce que cette stigmatisation que vous avez vécue au début, existe toujours?

 

Il y a une amélioration parce que moi, au début, on m’a renvoyée, même là où j’enseignais. Mon directeur m’a dit qu’il ne fallait plus mettre les pieds dans son école. Mais après avoir fait moi-même des recherches, je me suis dit qu’il avait raison. Il a eu peur parce que la compréhension n’est pas au même niveau pour tout le monde. J’ai pu sensibiliser petit à petit les gens.

 

Vous avez opté pour apporter votre expérience et votre soutien aux malades d’Ebola. Pourquoi vous avez fait ce choix?

 

Parce qu’à ma sortie d’hôpital, j’ai appris dans le quartier qu’il y a beaucoup de rumeurs circulant à propos du centre. Les gens disaient qu’Ebola n’existait pas. C’est purement de la politique (...). Et si ça existe, le virus est dans le centre ici seulement. Une fois qu’un patient vient, on l’injecte directement. On disait aussi qu’au centre ici, on va te couper, te brûler, couper tes oreilles, couper tes orteils. Cela fait que les patients qui étaient à la maison, conscients qu’ils étaient malades, avaient peur de venir à l’hôpital. Donc il fallait vraiment leur dire que moi j’ai été dans ce centre. Je suis sortie nette. Je n’ai pas mes narines coupées, ni mes oreilles coupées. Je suis sortie intacte, comme je suis rentrée. Il fallait leur faire comprendre aussi qu’on a dit pas de vaccin, pas de traitement typique, mais à l’aide d’un traitement symptomatique, un patient peut s’en sortir. Il peut guérir d’Ebola.

RFI