cellou_alpha2Jusque-là, les régimes totalitaires et les dictatures guinéens ont réussi à tirer les marrons du feu. Ils ont fait accroire que la faillite du pays est due à un manque d’entente entre les citoyens, leur paresse, leur égoïsme et à la guéguerre de quelques politiciens avec des positionnements ethniques. Il suffirait donc qu’il y ait un peu de bonne volonté de part et d’autre – du dialogue et de la réconciliation comme on aime à le dire ou du patriotisme- pour tout faire marcher comme sur des roulettes. Ces simples bonnes volontés – sans justice et sans application des règles constitutionnelles ou des lois – seraient ainsi suffisantes pour remédier aux tragédies de notre pays.

Après le non-sens de la «Guinée est une famille», les aphorismes de Alpha Condé de « tout le monde est coupable et tout le monde est victime», Cellou Dalein a dit que «les partis politiques devraient être du Sanakouya. C’est-à-dire, le cousinage à plaisanterie ». De la part du leader d’un parti dont on assassiné des dizaines de militants, la déclaration qui croit puiser dans le fonds sociologique ou dans l’anthropologie de nos sociétés, traduit de la naïveté et une compréhension déconcertante du fonctionnement âpre de la démocratie et de la justice ; de l’histoire en général et de celle de la Guinée en particulier. Les mécanismes de régulation sociales dont participe le Sanakouya n’ont jamais prévenu des guerres entre africains, ni aucune des tragédies dont notre pays a été le théâtre. Il n’est nulle part prouvé que ces mécanismes aux origines mythiques puissent atténuer les antagonismes sociaux ou tempérer les violences. En aucun cas, la tradition du Sanakouya ne peut se substituer au manque de justice ou réguler la compétition pour le pouvoir. Le cas échéant, le Sanakouya serait la Loi par essence. L’Afrique de l’Ouest qui s’enorgueillit de cette longue tradition aurait été épargnée et serait à même de donner des leçons de modération au reste du monde. La lucidité montre que seule la justice –sous les auspices d’une institution ou sous forme de vengeance par les victimes – a été le seul recours effectif pour gérer la violence sociale.

La déclaration de Cellou Dalein n’est cependant ni isolée, ni un hasard. Elle n’est qu’un avatar de la nébuleuse idéologie de la réconciliation nationale - une antithétique à la démocratie que les régimes guinéens distillent comme calmant, après avoir attisé les feux des conflits. Des milliers de cadres guinéens véhiculent les avatars moralisateurs et puériles de «l’unité et de la concorde nationale». Ils se sont convaincus de façon vague et intuitive que l’idée fait unanimité ou fait chic. Sur cet unanimisme on campe la réconciliation nationale. Les deux concepts ne sont calibrés ni sur une réalité nationale, ni aucune expérience collective ou historique. Ils sont faits pour allaiter des égarements. Quand on cherche à dégager des démarcations en leur sein - entre faiseurs de torts et victimes par exemple – on se retrouve avec des embrouillages des crimes qui justement maintiennent la Guinée dans la faillite. La seule façon d’adhérer à ces fumeux concepts, c’est de se garder de mentionner les exigences de base de cohésion de toute société– au premier chef, la justice pour tous et l’éradication de l’impunité. Il faut aussi se condamner à évoquer de façon allégorique et par euphémismes les tragédies de la nation ainsi que la chaine de crimes impunis qui l’offusquent: tortures, assassinats par pendaisons et inanition, viols et destructions de biens avec une corruption rampante et la violation systématique des lois et des dispositions morales des plus élémentaires dont de honteuses ségrégations ethniques.   Dès qu’on les débarrasse de ces chamarrures incantatoires pour un plan de validation, l’unanimisme et l’unité nationale se désintègrent. Conçus pour masquer les conflits, il s’inscrivent de fait à l’encontre d’un des principes cardinaux de la démocratie qui est de créer un cadre pour révéler et gérer les conflits. En cherchant à mixer dans un embrouillamini inextricable deux formes irréconciliables de politiques : la politique des répressions et celle de la justice, ils se résolvent en un malentendu fondamental qui veut ignorer que le mot concorde n’aura jamais la même résonnance pour les victimes et les tortionnaires. Pour rester fidèles à cette gageure de religion, mal élaborée et mal ficelée, tout adepte de la réconciliation nationale ne peut faire que du colmatage au quotidien et refuser d’admettre que la mémoire collective a prouvé être plus têtue qu’on ne veut. À son secours toutefois, il y a le minimalisme intellectuel typique de la Guinée ainsi que le conformisme social forgé à coup de répression et de misère. Le laxisme qui en résulte fait –et continuera de faire - de l’expérience démocratique en Guinée une tragique blague.

La conjonction de ces circonstances empêche encore que ces avatars ne soient à leur place : dans les cimetières de l’histoire. En attendant, la nébuleuse produit les résultats escomptés. Elle permet d’applaudir le fait que les deux têtes d’affiches - de l’opposition et du gouvernement - se soient rencontrées et aient promis de se concerter, comme un signe de renouveau. Pour un instant fugace, on peut replonger dans les délices de la délusion nationale. On peut croire avoir occulté les pesanteurs et les contraintes de notre histoire. On peut réaffirmer haut et fort que nous sommes guinéens ; c’est-à-dire que les moyens drastiques, les plans rigoureux et les programmes conséquents requis pour gérer notre passé macabre sont un luxe qu’on ne peut se permettre. D’autres nations, d’autres africains peuvent le faire. Mais pas nous. Nous – nos dirigeants à l’avant - on a élu de placer les mains devant les yeux, de marcher à vue et de s’étonner quand même de nous égarer perpétuellement. Il nous reste toujours la rengaine des truismes puérils et des complaintes délavées du genre: le «peuple-martyr de Guinée aspire à plus de calme, de sérénité, un minimum de prospérité».

Ourouro Bah