ebola_guinee« La dernière fois que j’ai accouché à la maison, j’ai eu une tension du placenta. J’ai tellement saigné que j’ai failli perdre la vie », raconte Mariama, 35 ans, allongée à côté de son enfant, né il y a quelques minutes. Affaiblie par le travail, elle doit forcer sur sa voix pour couvrir les pleurs du nouveau-né : « C’est mon septième enfant. Maintenant, j’accouche au dispensaire. Parce que si tu accouches seule et qu’il y a un problème, il n’y a personne pour te secourir... »

Jeanne Tolno, la sage-femme du dispensaire Saint-Gabriel, dans le quartier populaire de Matoto, à Conakry, vient d’habiller chaudement le bébé et lui prodiguer les premiers soins. Mariama a mis toutes les chances de son côté dans un pays où encore une femme sur deux accouche sans assistance médicale et où la mortalité materno-infantile reste très élevée.

Mourir en couche

En Guinée Conakry, 679 femmes sur 100 000 meurent suite à des complications pendant ou après la grossesse ou l’accouchement. Au cours de sa vie, c’est une femme sur 26 qui risque de mourir en couche. Pour 1 000 naissances vivantes, 34 nouveau-nés ne survivent pas au-delà de 28 jours. Des taux parmi les plus élevés du monde et supérieurs à la moyenne de la sous-région.

Depuis quelques années, ces chiffres étaient à la baisse. Mais l’épidémie d’Ebola, qui a fait 2 500 victime en deux ans en Guinée, et dont le pays peine à sortir, est venue faire voler en éclats cette progression et éprouver un système de santé déjà à terre.

Au centre de santé de Farmoriah, petite ville située à une centaine de kilomètres au sud de la capitale Conakry et à vingt kilomètres de la frontière avec la Sierra Leone, les mesures anti-Ebola sont toujours de rigueur. Lavage des mains à l’eau chlorée et prise de température sont indispensables pour accéder à la structure. Dans la petite cour carrée du centre écrasée par le soleil, des dizaines de femmes enceintes ou accompagnées de leur enfant attendent leur tour. Une scène qui ne se serait pas vue pendant Ebola.

« Le bruit courait contre nous »

« Durant l’épidémie, le centre n’étaient pas utilisé, raconte Patrice Goumou, infirmier et chef du centre de santé de Farmoriah. Le bruit courait dans les villages que les médecins avaient inventé le virus pour intoxiquer la population. La communauté était complètement braquée contre nous. Personne ne voulait venir au centre et il était quasiment impossible de pénétrer dans les villages. » La région de Farmoriah est celle qui a présenté le plus de résistances communautaires et de défiance vis-à-vis du personnel soignant. Une situation bloquée dont témoigne aussi Marie-Madeleine Loua, la sage-femme : « Nos taux de fréquentation se sont écroulés. Les femmes ne venaient pas accoucher au centre et ne suivaient plus non plus les consultations prénatales. »

Les chiffres nationaux reflètent, à moindre échelle, cette rupture. En 2014 en Guinée, les consultations ont baissé de 58%. Les accouchements assistés ont diminué en moyenne de 12% et les césariennes de 16%. La cruciale vaccination des enfants de moins de un an s’est, elle, effondrée de 30%. « Il est encore trop tôt pour obtenir les indicateurs de santé maternelle et infantile officiels. Mais il est évident que ces données sont de mauvais augure », admet le Dr Guy Yogo, représentant adjoint de l’Unicef en Guinée-Conakry.

Pour Marie-Madeleine, les conséquences de la désaffection sont déjà tangibles : « Nous avons vu une augmentation du tétanos néonatal, des hémorragies en post-accouchement et des infections puerpérales [état fébrile survenant dans la période qui suit un accouchement ou un avortement]. Des femmes et des enfants sont morts pendant l’épidémie, d’autres causes qu’Ebola. »

Rétablir la confiance

Patiemment, les soignants ont dû rétablir la confiance avec la communauté. Aujourd’hui, l’activité du centre de Farmoriah reprend. « La situation commence à revenir à la normale. Par exemple, les mamans qui ont accouché seules pendant l’épidémie reviennent faire vacciner leur bébé. Nous n’atteignons pas les taux de fréquentations que nous avions avant Ebola, mais nous y travaillons », assure Patrice Goumou. Le centre s’appuie sur ses agents de santé communautaires, chargés de se rendre dans les villages pour sensibiliser les mères et les convaincre de fréquenter le centre.

Les femmes reprennent aussi le chemin de la structure parce que l’offre de soin y est, depuis peu, meilleure. Du matériel et du personnel supplémentaires ont été envoyés en renfort pour lui permettre de mieux reprendre ses activités. « Le centre a été réhabilité tout récemment, à travers la coordination de lutte contre Ebola. Nous avons été formés à une meilleure hygiène et nous avons été épaulés par des sages-femmes qui nous ont rejoints. Et pendant la situation de crise tout était gratuit. L’accouchement, la vaccination et les consultations prénatales, le sont d’ailleurs toujours. Petit à petit, les femmes ont retrouvé confiance », explique le chef du centre.

Pendant la crise Ebola, le Fonds des Nations unis pour la population (UNFPA) a accéléré son processus de soutien aux structures de santé en déployant 68 sages-femmes dans 34 centres de santé et hôpitaux préfectoraux, ainsi que du matériel à usage unique comme des kits de césariennes. « Ebola a été aussi une porte d’opportunité pour davantage écouter les populations et renforcer la qualité de l’offre, analyse le Dr Yogo. La demande se fait plus forte. »

Dans les campagnes et dans la pauvreté

L’ « effet Ebola » ne doit pas pour autant faire oublier une réalité difficile : la Guinée, où 70% de la population vit dans les campagnes et dans la pauvreté, ne compte qu’une sage-femme pour 20 000 habitants. C’est quatre fois moins que ce que recommande l’Organisation mondiale de la santé.

A 6 km du centre de santé se trouve le village de Kébéa. Pour y accéder, il n’y a pas d’autre choix que d’emprunter une piste très accidentée. Au centre, les habitants du village s’y rendent très peu. Bangoura, le chef du village, est réaliste : « Nous n’avons pas de moyens de locomotion. Alors, oui, souvent les accouchements ont lieu ici. Quand il y a une complication et ou qu’un enfant est malade, on est obligés de demander à quelqu’un qui a une moto de l’emmener au centre de santé. Il y a souvent des enfants qui meurent. »

Les motos ne sont, bien souvent, pas disponibles au bon moment. Marie-Hélène Collier a 19 ans, le regard dur, et déjà deux enfants. «J’ai accouché à la maison pour les deux, je n’avais jamais de véhicule pour aller en urgence à la maternité. Pendant le travail, j’étais avec ma grand-mère qui en fait ne pouvait rien pour moi. J’avais peur », raconte-t-elle, son dernier né dans les bras. Se remémorer la crise Ebola semble douloureux pour les villageois. Et aucun n’admettra s’être méfié des médecins et des structures sanitaires. Toujours est-il que Marie-Hélène en a une meilleure opinion depuis que le centre a été rénové. «J’y vais plus volontiers maintenant, c’est plus propre et ils sont plus accueillants. Et ils ont des médicaments à nous donner pour les enfants », souffle-t-elle.

Les cas d’accouchements compliqués

Le problème d’accessibilité des maternités est loin de concerner les seules zones rurales. A l’hôpital d’Ignace Deen, le principal hôpital public de la capitale Conakry, qui drainent les cas d’accouchements compliqués, autre décor mais mêmes problématiques. «Il y a des embouteillages dramatiques dans Conakry, constate le Pr Telly Sy, chef de la maternité. Pour venir de banlieue, il faut quelque fois trois heures. Et quand les femmes arrivent, il peut y avoir des retards à la prise en charge, par manque de moyens. » Un petit écriteau accroché dans le hall de l’hôpital rappelle : « la mortalité maternelle n’est pas une fatalité. Combattons-la ! » La guerre est déclarée. Mais les armes, elles, semblent encore bien dérisoires.

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