gare_arrasNous vous livrons le témoignage de l’administrateur de notre site, Abdoulaye DT Diallo qui était dans le train Thalys victime d’attaque terroriste la semaine dernière.

Il est aux alentours de 18h00, ce vendredi 21 août 2015. Le train du Thalys est à l’heure et file à plus de 300km/h. Rien d’anormal pour un habitué comme moi. On est déjà rentré dans le territoire de la France en provenance de Bruxelles. J’ai fini de manger la collation (un sandwich et des tranches d’agrumes) qu’un hôte et une hôtesse m’ont servie. Tête baissée, je m’efforce à me concentrer pour faire un peu de lecture.

Soudain, deux hôtesses du Thalys, une vingtaine d’années chacune, fuient le wagon 12 et traverse en toute vitesse le wagon 11. Elles sont suivies par un de leurs collègues, un jeune homme. Lui aussi, il coure aussi rapidement qu’il le peut. Les trois agents du Thalys ne disent rien. Ils ne crient même pas. Ils se réfugient à l’avant du wagon 11.

En les voyant courir si vite, je comprends qu’il y a un danger derrière. Tout le monde le comprend, certainement. Mais, quel genre de danger ? Je pense à un incendie. Je me dis que les agents du Thalys vont chercher quelque chose pour contrôler le feu, un extincteur par exemple.

Nous, les passagers du 11, restons assis à nos places. Nous ne comprenons rien de ce qui a fait fuir les trois agents du Thalys. On va courir parce qu’on a vu des gens courir sans même connaître leurs raisons? Non, cela aurait été céder à la panique. Et s’il faut courir, il faut aller où puisqu’il n’y a pas d’issue à l’avant du 11 ?

Assis et dubitatifs, on regarde vers le wagon 12. Des passagers le quittent également en courant et traversent le wagon 11. Une femme crie : «He’s shooting. He’s shooting…. shooting…..gun…gun…». D’autres répètent en Français : « un homme armé…il tire… ». C’est la débandade. Les passagers du 11 se précipitent à leur tour à l’avant du wagon.

Je me lève et je souhaite y aller, moi aussi. Mais, je réalise que ça ne sert à rien d’y aller puisque l’avant du 11 est un cul-de-sac et, en plus, beaucoup de personnes y sont déjà regroupées, serrées les unes contre les autres. Je me rassois, je me relève. Je me rassois, je me relève; à plusieurs reprises sans savoir quoi faire. Je reste assis un instant à mon siège avant de décider de me cacher sous les sièges. «Sous les sièges», c’est trop dire puisque rien ne rentre sous un siège. C’est plutôt entre quatre sièges, deux à ma gauche, deux à ma droite. Je me recroqueville autant que possible. Mais, avec ma grande taille de plus de 1m80, même mince, c’est difficile de se faire tout petit et se rendre invisible.

 

Une longue et angoissante attente commence. J’attends le ou les tireurs. Nous attendons tous. Nous regardons tous vers le wagon 12 en guettant l’arrivée d’un homme armé. De ma cachette, je regarde par dessous des sièges. Un coup d’œil à ma droite, vers le wagon 12. Un autre à ma gauche, vers le gens regroupé à l’avant. Vers le groupe, j’aperçois les pieds de deux personnes qui sont restées assises à leurs places. C’est un couple de personnes très âgées, de plus de 80 ans. Elles n’ont pas l’air de comprendre ce qui se passe. Ont-elles bien entendu qu’un homme armé est entrain de tirer? Réalisent-elles le danger ou une simple résignation? Je ne saurais répondre.

Après le remue-ménage pour se cacher ou s’éloigner, un silence glacial s’installe dans le wagon 11. Personne ne parle. Les enfants ne pleurent pas. Les femmes ne crient pas. Les hommes ne bougent pas. Le temps s’écoule lentement. Ça dure. Et ça dure. On ne voit rien venir du 12. On n’entend rien à part le bruit de fond du ronronnement du TGV lancé à plus de 300km/h. Sous l’effet de la cinématique et de la courbure des rails, le train tangue par moment et se redresse aussi tôt. Il faut plus pour arrêter cette bête de ferraille dans laquelle nous sommes prisonniers. Je me sens à l’étroit et démuni. Je souhaite l’arrêt du Thalys pour qu’on puisse descendre. S’il y avait une possibilité, on aurait tous sauté du train malgré son allure, comme l’avaient fait, dans un acte de désespoir, certaines personnes aux sommets des tours de World Trade Center à New York lors de l’attaque du 11 septembre 2001.

Résignés et impuissants, nous attendons patiemment qu’un ou plusieurs hommes armés viennent nous tirer dessus. Nous attendons religieusement la mort. Ce silence de cimetière est déchiré par les pleurs d’une femme d’une cinquantaine d’années qui arrivent dans le wagon 11 en provenance du 12. Elle crie : « Quelqu’un a tiré sur mon mari…. On a tiré sur mon mari….Venez aidez mon mari… y a un médecin?… » Elle arrive à mon niveau. Elle me regarde et je la regarde sans dire un mot. Elle continue sa course vers le groupe de l’avant. Elle répète ses doléances. Mais, personne ne se montre sensible à sa souffrance et encore moins disposée à l’aider. Elle revient sur ses pas et retourne d’où elle venait, le wagon 12. Où est passé la virilité des hommes de ce wagon? Honte à eux! Incapables de consoler une femme éplorée! Elle a dû nous maudire, nous tous.

 

Je me dis peut-être que c’est une simple bagarre qui a mal tourné. Des gens se sont disputés et l’un a tiré sur l’autre. Mais, pas un forcé qui voudrait tuer tous les passagers. Je me relève donc et j’avance timidement de quelques pas vers le wagon 12. A l’entrée de celui-ci, j’aperçois un homme en maillot de foot tenir une grosse arme de guerre, une kalachnikov. Voilà, l’homme armé! Je reviens précipitamment à ma cachette. Mon cœur se met à battre rapidement. J’entends ma respiration. Je me crispe, ferme les yeux et me prépare à entendre une détonation d’arme. Mais, rien ne se passe. L’homme au maillot de foot ne vient pas. Pourquoi ne vient-il pas dans le wagon 11? Pourtant, je l’ai bien vu et il m’a bien vu. Et même, nos regards se sont croisés. Je ne comprends pas. Peut-être, il n’en veut pas à tout le monde? Il a tiré sur qui il voulait tuer et c’est fini? Rien ne me rassure dans tout ça. Je reste à ma planque. Le groupe de l’avant du wagon n’a pas bougé non plus et reste toujours rassemblé.

 

americain_thalysUne nouvelle et effrayante attente commence. Elle est interrompue par l’irruption d’un jeune homme noir, Anthony Sadler (voir photo), qui rentre précipitamment dans le wagon 11. Il gesticule avec ses mains et s’exprime en anglais américain. Il coure jusqu’au niveau du groupe de l’avant. Il explique que l’homme armé est maitrisé mais son collègue est blessé. Il demande s’il y a des médicaments pour le soigner. Il nous rassure que tout est fini. «Mais, ont-ils maitrisé l’homme en maillot de foot avec son arme ?», m’interroge-je. Je reste dubitatif. Mais, je me laisse convaincre. Je me sens plus ou moins rassuré. Je me sens d’autant plus rassuré que c’est un noir comme moi qui le dit. «Il n’a aucune raison de mentir, surtout ni à m’en vouloir», me dis-je. A ces moments difficiles, l’irrationnel prend le dessus sur le rationnel. On s’accroche à tout ce qui peut susciter un brin d’espoir en nous.

Timidement, je vais au wagon 12 pour voir ce qui s’est passé. Je vois un homme blessé allongé par terre. Au tour de lui, des gens s’activent pour lui prodiguer des soins. Le groupe de l’avant du wagon 11 vient aussi pour s’enquérir des nouvelles.

Je vois l’homme en maillot de foot debout, sans l’arme cette fois-ci. Ce n’est pas lui le tireur, donc? Vu ses agitations au tour du blessé, je comprends vite qu’il est l’un des américains qui a désarmé le terroriste et il s’appelle Alek Skarlatos (voir photo).

La tension baisse d’un coup mais chacun reste sur ses gardes car on ne sait pas qui est qui. L’alerte est déjà donnée. Le conducteur est informé. Il déroute le train vers la gare la plus proche, la Gare d’Arras.

On roule une dizaine de minutes avant d’y arriver. Le temps que le train s’immobilise aux quais, un groupe de policiers, en tenue et en civil, des hommes et des femmes, pistolet à la main, accourent vers le wagon 12. On est enfin sauvé!

Les passagers sont évacués dans un gymnase, une grande salle dédiée au sport. On y reste jusqu’à 1h du matin. On est servi à boire et à manger. La police relève les identités de tout le monde. La majorité des passagers sont libérés et conduits dans un autre train jusqu’à Paris. Certains sont retenus pour être auditionnés par la police.

En ce qui me concerne, j’ai fini ma déposition à 2h du matin et j’ai passé la nuit dans un hôtel que les autorités ont mis à disposition. Le lendemain, samedi 22 août 2015 à 11h, j’ai pris un train pour rentrer à Paris. Comme un malheur n’arrive jamais seul, ce train a eu 40 mn de retard. Finalement, je suis arrivé chez moi à 13h. Cependant, sain et sauf. Juste une petite égratignure au poignet droit.

Pour les trois agents du Thalys, je ne les ai pas revus depuis qu’ils ont disparu à l’avant du wagon 11. Selon de témoignages recueillis, ils auraient sauté du train et la police les aurait retrouvés vivants mais avec des blessures.


 

Toute ma gratitude à nos sauveurs sans lesquels il y aurait, sans aucun doute, un carnage. Les américains que nous aimons tant détester mais qui forgent toujours le respect et l’admiration. God bless America !

La Rédaction de www.guinee58.com


Pour avoir plus d’informations, vous pouvez lire les témoignages suivants faits par Jean-Hugues Anglade et sa femme qui étaient également dans le même wagon 11:

http://www.parismatch.com/Actu/Faits-divers/Anglade-Rendre-hommage-a-leur-courage-heroique-816395

http://www.lefigaro.fr/culture/2015/08/22/03004-20150822ARTFIG00110-jean-hugues-anglade-a-sentait-la-mort.php

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