manifestants_1L’exemple à ne pas suivre

Quand Alpha Condé fut emprisonné sur des accusations de préparation d’un combat armé contre le régime de Conté, il était dans son droit légitime de citoyen résistant contre une dictature. D’où le soutien que lui accordèrent beaucoup de patriotes guinéens. En réalité, son entreprise ne fut qu’une conspiration pour accéder au pouvoir. En public, Alpha Condé utilisa l’opposition comme marchepied.

Mais pour arriver à ses fins, il travaillait dans l’ombre à nouer des alliances avec les factions les plus répressives de l’armée. Son réseau de complicités joua sur les divisions ethniques. L’ampleur de la conspiration qui le mena au pouvoir est à déterminer. Il est aujourd’hui prisonnier de ses arrangements ombrageux et a du mal à se défaire de militaires accusés de crimes contre l’humanité dont il s’est servi ou qu’il a manipulés. Le sang versé pour l’ascension de Alpha Condé au pouvoir n’est pas celui des criminels mais celui de citoyens innocents. Les méthodes utilisées sont typiques de la conspiration: corruption, concussions, divisions et violence. Ces ingrédients - avec le catalyseur de l’exclusion ethnique - le maintiennent au pouvoir. Le parcours politique d’Alpha Condé exemplifie les formes de conspiration à l’opposé de l’insurrection populaire.

 

Conspirations, violence politique et dictatures

La conspiration ne vise que le pouvoir et mène toujours à la dictature. Elle exclut les populations et dupe les citoyens par des promesses. En Guinée les conspirations sont à l’origine de tous les régimes qu’on a connus. C’est par des conspirations permanentes - avec des mafias familiales ou ethniques, déguisées en partis politiques (PDG/RPG) ou dans les forces de sécurité (PUP/CNDD) - que les régimes politiques guinéens se maintiennent. L’ascension du PDG est une illustration, en dépit de l’hagiographie de ses partisans sur l’indépendance. Durant le règne du PDG et celui de Lansana Conté, les conspirateurs dans l’armée étaient tapis dans l’ombre, attendant la mort du président. Le jour du coup d’état, ils occupent la radio nationale, quadrillent quelques points stratégiques de la capitale, procèdent à des arrestations. Ils se lancent des satisfécits pour n’avoir pas versé du sang et proclament une ère du changement. Mais, comme les conspirations ne sont que des alliances de malfaiteurs, les carnages et les règlements de comptes se produisent à retardement. Avec la bande Diarra-Conté, ils eurent lieu au sein de la junte lors de la redistribution du butin du pouvoir. Avec le clan Daddis-Konaté, ce fut quand sous la pression internationale, la question d’abandonner le butin du pouvoir se posa. Et, avec les massacres du 28 Septembre, quand il fut question de situer les responsabilités. Avec l’universelle condamnation des putschs et les sanctions automatiques qui les suivent, la conspiration du RPG pour conquérir le pouvoir fut à travers le holdup électoral ; avec l’appui de groupes dans les forces de sécurité.  

 

La caractéristique intrinsèquement conspiratrice des régimes politiques guinéens les condamne à la paranoïa, à une gestion mafiosique de l’état et à la violence. En 2011, une large majorité de guinéens prit note du holdup électoral du RPG. Toutefois, il y avait la vague espérance d’une forme de magnanimité ou de grandeur de la part du «vainqueur» surtout après le traumatisme infligé par le CNDD. Mais très vite, même les observateurs qui se croyaient avertis, notèrent le flot de mesures du RPG pour saper les mouvements citoyens et asseoir un régime autocratique. Mû par le simple instinct de self-préservation, le régime issu des «élections démocratiques » ne fit aucun mystère de sa politique de divisions tribales et sociales. En un temps record, il vida les institutions républicaines de leur contenu et les garnit par des complices – eux-mêmes choisis sur des critères de douteuse moralité et de médiocrité intellectuelle. La classe moyenne fut encore plus disloquée sur des lignes tribales. Des mesures rapides parachevèrent la corruption du système électoral. La réforme de l’armée consista à la gangrener de milices et d’en exclure les membres des autres ethnies. La justice déjà déliquescente fut encore plus réduite en un spectre, ridiculisé par l’arrogante impunité de criminels internationalement connus. Ce n’est qu’après que les conspirateurs au pouvoir décidèrent d’aller aux élections législatives. Le fait d’avoir ignoré que tout régime de conspirateurs n’est, par définition motivé que par la survie a été une erreur dont l’opposition aura du mal à se relever.  

 

Le mécanisme insidieux et rôdé des conspirations pour accéder et se maintenir au pouvoir en Guinée – qu’il soit habillé de slogans révolutionnaires, de couleurs électorales ou des fatigues militaires – est la base de la déroutante reproduction du système de faillites. Cette pérennité de systèmes politiques corrompus et répressifs dans notre pays qui interpelle tant les guinéens a son explication dans la permanente conspiration des mafias. Non pas dans une quelconque «malédiction». Rompre ce cycle de dictatures pour ouvrir la voie à la démocratie impose des contremesures défensives populaires et non le secours d’hommes providentiels – même des mieux intentionnés. L’attente de l’homme providentiel est la seconde explication de la faillite guinéenne. Cette béate espérance - que rien ne justifie et qui a été si souvent trahie dans les faits- est la parfaite nébuleuse dont les conspirateurs ont besoin pour se pérenniser au pouvoir. L’idée qu’il suffit d’un leader charismatique, compétent et honnête – dont de préférence on s’identifie à l’ethnie - pour faire avancer le pays est une idéologie pernicieuse qui sert de marchepied aux opportunistes. Cette idéologie aura empêché l’émergence d’une avant-garde citoyenne qui serait l’émanation des aspirations des populations.   Il n’est pas étonnant que ceux qui ne rêvent que de mettre les pieds dans l’étrier du pouvoir, aient décrété que l’émergence d’une telle avant-garde en Guinée relève du miracle. En réalité, le miracle serait plutôt que ce système rôdé de mafias change de façon pacifique avec des élections transparentes.

 

Insurrection populaire et démocratie

Contrairement à la conspiration qui procède essentiellement de l’envie et de la convoitise, l’insurrection populaire a pour objectif – immédiat et ultime - la justice et l’égalité citoyenne. Sa vocation est d’engager les populations dans le combat et les sacrifices pour leur propre salut et celui des générations futures. L’insurrection populaire procède par débarrasser les citoyens des toxines des doutes et de la résignation. Avec une variété de noms (révolution, résistance populaire, soulèvement, rébellion, lutte de libération etc.), elle s’inscrit au cœur de l’histoire de l’humanité et dans le cheminement vers plus de libertés. Elle aura été jusqu’à une époque récente – et reste encore dans bien de cas - la seule voie de changement social et politique.

En dépit de l’antinomie absolue entre l’insurrection populaire et les conspirations génératrices de dictatures, la propagande du pouvoir veut à tout prix les assimiler pour semer la confusion. Le soulèvement populaire est présenté comme une conspiration contre la démocratie, voire des aspirations légitimes et progressistes de l’Afrique. L’idée est conjurée avec les recettes habituelles de la peur, comme une œuvre ethnique si ce n’est celle des démons. Les ténors du pouvoir agitent les spectres de la guerre civile avec des menaces à peine déguisées. Le RPG sait que toutes les conditions d’une insurrection populaire sont réunies en Guinée. Au lieu de diffuser les tensions sociales, il se prépare plutôt à la contre-attaque et à la répression. Le noyautage des corps d’armée par des milices, de gardes-forestiers, de mouchards et de tueurs etc. est au centre de cette préparation. La complaisance envers des criminels avérés aussi. Il en est ainsi de l’insécurité civile orchestrée pour se défaire de citoyens encombrants et augmenter le taux de psychose sociale. Les discours provocateurs et les manœuvres pour renforcer l’atmosphère d’animosités ethniques au sein de l’administration procèdent de ce calcul. Avec l’espoir de prévenir les conséquences de ce qu’il sème, le RPG fait tout pour alimenter ces formes diverses d’insidieuses scissions de la nation.

 

Si l’histoire est d’un quelconque secours, cette intoxication ne tiendra pas pour longtemps. Même avec l’enfermement du débat dans la partisane et irrationnelle politique tribale. Dans sa grande majorité, le peuple de Guinée a pris conscience du fait que la succession de conspirations (électorales ou militaires) n’est pas le changement auquel il aspire. Elle n’aura bénéficié que les conspirateurs. L’histoire enseigne aussi que les champs de doutes, de désolation citoyenne et de désintégration de la société sont les champs les plus propices à l’insurrection populaire. Et que les frustrations de la misère conjuguée avec les tensions sociales y trouvent toujours leur canal d’expression. L’insurrection populaire est d’une acuité plus que jamais forte. Ses graines ont été semées par les décennies de politiques désastreuses des mafias de l’état. Ce sont elles qui auront jeté ses ferments dans notre histoire. C’est sur le terrain de leurs faillites successives que les pousses de l’insurrection sont en train de prendre forme. Sur le parcours malencontreux de notre nation, elle surgit comme un signal de dernier salut afin de rectifier la trajectoire vers le chaos. Seule une délusion mentale des intellectuels guinéens (dont les causes seront discutées dans la suite) empêche de lire cette réalité et de l’intégrer dans les stratégies de combat.  

 

Insurrection et ethno-stratégie

L’insurrection est un mouvement négatif qui se définit par opposition aux crimes et injustices du passé. Sa promesse d’un avenir meilleur n’est qu’implicitement inscrite dans sa stratégie qui est essentiellement la cure des griefs subits par les populations. La justice est ainsi sa bannière de rassemblement et sa plateforme de principe. Pour faire face à la gangrène de l’ethnocentrisme en Guinée et tenir compte des tensions ethniques, tout mouvement d’avant-garde insurrectionnel doit réitérer de façon incontestable ce principe et – une fois l’action insurrectionnelle déclenchée- l’assumer dans les faits. Dans la phase de préparation, il est contreproductif pour l’avant-garde de perdre du temps et de s’enliser dans les querelles byzantines de mobilisations et de dosages ethniques. Ce serait tourner dans le piège du clientélisme ethnique qui a jusqu’à présent empêché son émergence. Une stratégie de contournement est nécessaire ; qui consiste à guider et à éduquer des groupes de citoyens à formuler eux-mêmes des solutions à leurs problèmes et à s’approprier de leur mise en œuvre.

  

Le travail est ardu mais pas impossible. En dépit de la suicidaire démission de la classe moyenne engagée dans une guérilla larvée – par ethnie interposée - au sein de l’administration pour des faveurs. Abreuvés de nihilisme et de pessimisme par la propagande des gouvernants et des politiciens, les intellectuels guinéens ont intériorisé l’idée qu’unir les citoyens est impossible. Le militantisme est réduit à la quête d’une sinécure et de miettes. Les calembours font de la Guinée une nation de «pourris, de corrompus et de paresseux ». Cet édifice complexuel travaille à retarder l’émergence d’une avant-garde citoyenne conséquente.

 

La réalité du terrain social montre des potentialités évidentes de changement. La misère, la répression larvée et l’ostracisme ethnique vont accentuer les révoltes spontanées. C’est en guidant ces potentialités que les classes moyennes progressistes ont conduit toutes les révolutions. Mais c’est à un phénomène inversé qu’on assiste en Guinée. Les cadres s’en remettent aux jeunes de Bambéto, de Cosa, de Hamdalaye, aux populations de Faranah, de Siguiri, de Lélouma   qu’ils applaudissent en cachette. Ces mouvements sont certes un terreau de l’insurrection populaire. Faute d’un encadrement ils serviront de justificatif de la répression du pouvoir. Ils ne deviendront le prélude du changement qu’avec l’engagement des intellectuels. L’ignorance volontaire et l’incapacité de guider ces potentialités condamnent les cadres guinéens à être les virulents vecteurs des trafics d’influence et des copinages ethniques et – par ce biais – les agents de l’ethnocentrisme. Contrairement à beaucoup de pays, les tensions ethniques en Guinée ne sont qu’un sous-produit de cette course ruineuse. De leur origine historique par la violence du PDG, les tensions ethniques n’ont été qu’un fonds de commerce commode aux régimes subséquents. Elles n’ont pas d’autres fondements sociologique ou religieux qui en feraient des obstacles insurmontables d’un soulèvement populaire.

  

Dans la pratique, la transformation de la dynamique de révolte en dynamique d’insurrection populaire soulève des questions de taille qui demandent une évaluation lucide des risques. C’est à une telle première tâche que la société civile doit s’engager si elle doit renaitre de ses cendres. Même de façon disparate, une campagne d’éducation sur les objectifs émancipateurs de l’insurrection participe à gérer ces risques. En le campant dans un faisceau d’actions citoyennes fermement enracinées sur les prescriptions de la constitution, le débat sur l’insurrection populaire va changer l’atmosphère politique empoisonnée à dessein par l’ethnocentrisme. Des campagnes d’éducation des citoyens sur la compréhension de leurs droits et de l’impératif devoir qui les incombe de les défendre vont ouvrir les esprits sur les possibilités de changement. Comme il est admis que le gouvernement du RPG se prépare à l’affrontement, au lieu de diffuser les tensions, l’éducation citoyenne sur le soulèvement populaire devient incontournable. Ne fut-ce que pour réduire les dérapages et les pièges.  

 

Ourouro Bah (À suivre)

Prochain article – Insurrection populaire, terrorisme et dangers de guerre civile.