alpha_conde_lunette2Il y a deux mois, j’ai prévenu que si la communauté internationale n’intensifie pas rapidement la pression sur le régime en place en Guinée afin de parvenir à un consensus avec l'opposition politique et la société civile en ce qui concerne la séquence des élections constitutionnellement requises dans moins de six mois, la fragile démocratie de ce pays ouest-africain pourrait bien se révéler mort-née.

Le mois dernier, j'ai noté des signes alarmants de tensions tribales sont entretenues, et que dans une région où les groupes ethniques transcendent des frontières trop poreuses, un tel conflit [ethnique] serait impossible à contenir. Ces craintes du pire sont confirmées par les actions du président Alpha Condé de Guinée.

La Guinée a un potentiel de prospérité extraordinaire, du fait de ses ressources naturelles prodigieuses (incluant les plus grandes réserves de bauxite du monde). En outre, contrairement à certains de ses voisins, elle ne manque pas d'eau: le pays a, en fait, été décrit comme le "château d'eau d'Afrique de l'Ouest" en raison des nombreux grands fleuves, y compris le Niger, le Sénégal et la Gambie, qui prennent source sur ces hauts plateaux.

Malgré ces dotations naturelles, le pays a connu peu de développement ; il est lamentablement classé 179 sur 187 dans la plus récente édition de l'Indice de développement humain publié par les Nations Unies.

Le chef d'état en exercice, Condé, arrivé au pouvoir lors des élections contestées de 2010 a donné peu de raisons aux électeurs de lui accorder un second et dernier mandat, lors des élections présidentielles prévue pour Octobre 11. La pauvreté urbaine et rurale a augmenté au cours de son mandat, selon le rapport de son propre ministère des finances au Fonds monétaire international. Le pays est confronté à une action judiciaire qui pourrait lui coûter plusieurs millions de dollars. La cour commune de justice et d'arbitrage, la plus haute juridiction d'un organisme régional de l'Afrique de seize membres sur le droit commercial, à laquelle la Guinée est signataire a rendu une décision en Mai 2014 condamnant le régime Condé pour la résiliation illégale d’un contrat de gestion du port avec la compagnie de fret française, GETMA INTERNATIONAL. Un tribunal fédéral américain cherche à mettre à exécution ce jugement. Mis à part ce jugement de près de 50 millions de dollars contre le gouvernement, l'atteinte à la réputation du pays auprès des investisseurs étrangers dont le pays a désespérément besoin est incalculable. Tout cela était avant que les forces militaires et de sécurité aient tiré sur des manifestants qui, au cours des dernières semaines, ont tenu régulièrement des rassemblements pacifiques dans la capitale - Conakry -pour soutenir les demandes de l'opposition d’un processus électoral libre, juste et transparent.

En l’absence de réalisations positives, il n’est pas surprenant que le chef assiégé se tourne vers le grossier usage des divisions ethniques. Bien que des chiffres précis soient difficiles à obtenir et en l’absence d’un recensement fiable depuis l'époque coloniale, on estime généralement que les 11,5 millions de Guinéens sont à peu près divisé entre les Peuls avec quelque 40% de la population, les Malinké, avec environ 30%, les Soussous avec environ 20%, et divers petits groupes qui constituent les 10% restants. Depuis l'indépendance en 1958, le pays a été gouverné par trois Malinkés (Ahmed Sékou Touré, 1958-1984; Sékouba Konaté, de 2009 à 2010, et Alpha Condé, 2010-présent), un Soussou (Lansana Conté, 1984-2008), et un Guerzé de la région de la Forêt (Moussa Dadis Camara, 2008-2009). Malgré la pluralité numérique des groupe, aucun Peul n'a jamais été président – même si il est admis que leader de l'opposition, l'ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, qui avait remporté haut la main le premier tour de l'élection de 2010, s’est vu dépossédé de sa victoire au second tour- malgré un pacte électoral avec le candidat à la troisième place, l'ancien Premier ministre Sidya Touré, qui lui avait apporté son appui.

C’est dans ce contexte que Condé a fait une grossière manipulation tribale, le week-end passé, lors d’une visite à Kankan, troisième plus grande ville de la Guinée en pleine terre Malinké. Là, il avait été chaleureusement accueilli par le gouverneur de la région, Nawa Damey. Cet ancien ministre de l'administration territoriale dans le gouvernement intérimaire en place pendant l'élection de 2010 est connu pour avoir usé de sa position pour faire de Louceny Camara le chef de la commission électorale nationale entre les deux tours de scrutin. Il a aussi fait des pressions sur les responsables locaux pour supporter la candidature de Condé pendant le second tour de l’élection présidentielle. En récompense il est à la tête de ce bastion clé.

Répondant à l'accueil du gouverneur, Condé joua sur l’émotion de la foule massive de partisans avec un discours de près de quarante minutes, dont un enregistrement audio qui m’a été envoyé de la Guinée par un ami. Le plus déconcertant dans le discours fut l'ouverture de Condé et la réponse enthousiaste qu'il reçut: "Si vous avez accepté le gouverneur Nawa Damey, alors qu'il est forestier, c’est parce que la Guinée appartient aux Malinkés, aux forestiers et aux Soussous! "

Pour être sûr, ce jeu politique cynique peut-être rationnel; mais il n’a certainement pas le sens politique d’homme d’état qu’on peut attendre d’un président d'un pays multiethnique. C’est une manœuvre hautement irresponsable dans l'un des plus volatile pays de l’Afrique et d’une sous-région fragile qui se remet à peine de longues années de conflit, récemment frappée par le virus Ébola, et avec une montée sensible du militantisme islamiste en provenance du Sahel. Nous avons vu les graines de ce type de tribalisme toxiques semées avant ailleurs en Afrique et la récolte est toujours infailliblement amère. La communauté internationale ferait bien de commencer à prêter plus d'attention au jeu dangereux qu’Alpha Condé joue, avant qu'il ne soit trop tard.

J. Peter Pham - Directeur du Centre de l'Afrique du Conseil de l'Atlantique