cellou_dalein_diallo_1Depuis le 24 mars, date de la déclaration des leaders de l’opposition au président Alpha Condé appelant depuis Paris à la « reprise des manifestations », Conakry vit au rythme des marches et des opérations « ville morte » qui paralysent la capitale. Mais aussi des morts par balle. Le dialogue politique est au point mort et la situation s’enlise sur fond de tensions politico-ethniques.

Pouvoir et opposition restent inflexibles et se refusent à toute négociation pour le moment. Le principal désaccord porte sur le calendrier électoral qui fixe l’élection présidentielle au 11 octobre et prévoit la tenue des élections communales - dont les dernières remontent à décembre 2005 - à mars 2016. L’opposition ne siège plus à l’assemblée nationale, ne reconnaît plus la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ni les autorités locales, et exige l’inversion de ce calendrier électoral.

Ancien premier ministre de Lansana Conté et candidat malheureux à la présidentielle de 2010, Cellou Dallein Diallo est aujourd’hui la figure de proue de l’opposition, à la tête de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).

Vous êtes de retour d’Abidjan où vous avez assisté le 25 avril à l’investiture du chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara, candidat à sa succession. Avez-vous discuté de la crise politique guinéenne avec ce président dont vous êtes proche ?

Le président ivoirien n’a pas pu me recevoir car il a dû partir à Lomé [dans le cadre des résultats de l’élection présidentielle contestés par l’opposition]. J’ai toutefois évoqué l’inquiétante situation sociopolitique que traverse la Guinée avec les proches collaborateurs d’Alassane Ouattara.

La situation politique guinéenne est préoccupante au niveau national et les conséquences de cette crise politique peuvent être régionales. Je crois que les pays voisins en sont bien conscients. Le dialogue avec le pouvoir d’Alpha Condé que nous réclamons depuis maintenant plus d’une année est resté au point mort. C’est pourtant une urgence. Alpha Condé doit revenir à la raison.

La manifestation prévue jeudi 30 avril à Conakry a été reportée à ce lundi 4 mai et étendue à tout le territoire. À défaut d’un dialogue politique, vous investissez la rue. Ne craignez-vous pas de paralyser le pays à moins que ce soit votre objectif ?

Nous manifesterons jusqu’au bout s’il le faut non pas pour paralyser le pays mais pour que la Guinée soit enfin un Etat de droit. Il est temps qu’on respecte la loi dans ce pays. Et je crois que nous avons le soutien massif de la population exaspérée par la gouvernance autoritaire d’Alpha Condé qui refuse l’organisation des élections communales avant l’élection présidentielle.

 

Le pouvoir en place impose un calendrier électoral qui bafoue clairement le droit et la démocratie mais aussi l’indépendance de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Nous ne l’acceptons pas. Nous avons toujours privilégié le dialogue mais Alpha Condé le refuse.

Nos manifestations pacifiques nous coûtent cher en vie humaine : nous avons perdu plus de 60 militants abattus, parfois à bout portant, par les forces de l’ordre sans qu’aucune enquête n’ait été déclenchée par les autorités. Et aucune sanction n’a été prononcée à l’encontre des auteurs de ces crimes. À défaut de dialogue, il ne nous reste plus que la rue et les manifestations pour faire entendre notre voix.

Pourquoi la tenue de ces élections communales est-elle si cruciale pour l’opposition ?

Contrairement à ce qu’affirme Alpha Condé, les élus locaux jouent un rôle clé dans la vie locale ainsi que dans l’organisation de l’élection présidentielle. Or le mandat des élus locaux est expiré depuis le 17 décembre 2010 et nombre d’entre eux ont été remplacés par des délégations spéciales c’est-à-dire des cadres ou des sympathisants du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, parti au pouvoir). Ceux qui n’ont pas fait allégeance au RPG ont été démis de leurs fonctions.

En refusant l’organisation de ces communales, Alpha Condé viole la constitution, les accords politiques de 2013 et 2014, ses engagements pris devant la communauté internationale et le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Nous préparons actuellement une plainte que nous allons déposer à la cour de justice de la Cedeao. Toutes ces manœuvres dignes d’un Sekou Touré du XXIe siècle ne favorisent pas la transparence et compromettent la bonne tenue de l’élection présidentielle fixée au 11 octobre.

Le président Alpha Condé l’a répété dans un entretien accordé au Monde : « Il n’a jamais été question des élections communales » dans l’accord avec l’opposition.

Nous avions proposé de les organiser en même temps que les législatives ou avant. Une date nous avait même été précisée : décembre 2014. Le ministre des affaires étrangères, François Lonsény Fall avait proposé que ces élections se déroulent avant la fin du premier trimestre, et nous avions donné notre aval.

 

Mais cette partie des négociations a disparu de l’accord du 3 juillet 2013. Donc une annexe a été rédigée et signée le 8 juillet par les médiateurs du pouvoir et de l’opposition ainsi que par le représentant de l’ONU. Que voulez-vous de plus ? Nous ne laisserons pas le pouvoir en place passer en force. Alpha Condé sait bien qu’il n’a pas intérêt à organiser ces communales car il redoute une défaite cuisante. Cela l’empêcherait de justifier le hold-up électoral que je le soupçonne de préparer pour la présidentielle.

Ne redoutez-vous pas que la situation dégénère ?

Lorsque je vois les nouveaux équipements derniers cris des forces de l’ordre, je suis inquiet et je redoute de nouveaux drames. Alpha Condé a beaucoup investi dans le maintien de l’ordre dans le but, selon moi, de réprimer nos manifestations. Je ne suis pas favorable à la violence et je me suis toujours opposé au recours aux armes. Je crains que le pouvoir d’Alpha Condé ordonne encore de tirer sur la foule.

D’aucuns vous soupçonnent de provoquer ou d’instrumentaliser les morts pour que la communauté internationale finisse par intervenir en Guinée. Que répondez-vous ?

Jamais je ne provoquerai la mort de mes militants. Penser que je les sacrifie pour pouvoir manœuvrer relève de l’insulte. Sachez que chaque mort me peine, et m’empêche de dormir. Je ne suis pas responsable des crimes commis en toute impunité par des policiers et gendarmes qui obéissent à des ordres.

Je peux tout à fait entendre qu’une bavure se produise. Cela arrive partout dans le monde. Mais en Guinée, ce n’est pas le cas et abattre des manifestants est devenu systématique. Nous espérons néanmoins que la communauté internationale, en observant la rue et la répression de nos manifestations pacifiques, pourra réagir et faire infléchir la position d’Alpha Condé.

Comment expliquez-vous que la plupart des manifestations et des morts à Conakry se concentrent dans la commune de Ratoma et plus particulièrement sur l’Axe ?

Des manifestations se sont tenues dans tout le pays. C’est en effet sur l’Axe que se comptent le plus de morts. Là-bas, les policiers et les gendarmes n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur certains manifestants et des jeunes de ces quartiers qui leur jettent des pierres. La commune de Ratoma c’est mon fief et plus de 80 % de l’électorat vote pour l’UFDG. C’est donc une cible pour le pouvoir d’Alpha Condé.

 

Collaborez-vous avec les « leaders de l’Axe » et les gangs qui disent vous soutenir et suivre vos consignes ?

Je mobilise mes militants et ils sont nombreux. Je ne connais pas les gangs de l’Axe et je ne travaille aucunement avec eux. À Ratoma, dans les quartiers défavorisés, les policiers et gendarmes procèdent souvent à des arrestations arbitraires. Ils brutalisent la population, pénètrent de force dans les habitations, renversent les marmites et vandalisent en marge des manifestations. Dans ces quartiers abandonnés par l’Etat central, les jeunes n’en peuvent plus d’être stigmatisés. Il faut les entendre.

L’Union européenne, la France mais aussi les plus hautes autorités religieuses de Guinée ont appelé au calme et à la reprise du dialogue. Avez-vous pensé à interrompre vos manifestations ?

Non car nous n’avons pas d’autres choix pour le moment. Pour la paix, on est tous d’accord. Mais il faut d’abord que le pouvoir respecte l’opposition et les règles de base de la démocratie. Si Alpha Condé est prêt à revenir sur ce calendrier électoral, alors tout est possible et nous pourrions rechercher des solutions ensemble.

 

Sur fond de crise politique, un climat délétère de tensions ethniques se fait ressentir en Guinée. Vous considérez-vous en partie responsable ?

Même en privé, je prends soin de ne jamais assimiler le régime d’Alpha Condé à la communauté Malinké. Mon parti est d’ailleurs transethnique et est implanté dans tout le pays.

Toutefois, je constate que durant la campagne présidentielle de 2010, Alpha Condé a bâti sa stratégie contre la communauté peul. Ce qui est très dangereux. J’essaie de combattre les tensions ethniques et de défendre l’égalité des citoyens devant la loi. Il ne faut plus que les politiques divisent les Guinéens en fonction de leur ethnie. La Guinée doit avancer et se construire dans l’unité.

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