buhariL’élection de Buhari comme nouveau président du Nigeria a ouvert la porte à un espoir démocratique qui s’inscrit dans les habitudes politiques africaines. La reconnaissance de la défaite par Good Luck Jonathan fait espérer la reconversion des dirigeants africains à l’alternance politique ou tout simplement au respect des volontés populaires des citoyens africains.

Le politologue Franklin Nyamsi s’est emparé de cet évènement, que certains qualifient d’historique. Il a fait une réflexion profonde et une analyse rationnelle de ce processus politique qui a conduit à une belle alternance politique dans le plus grand pays africain, en termes de population. Il met notamment en avant l’affranchissement du peuple nigérian des verrous ethnoreligieux au profit d’une espérance et d’une vision meilleure incarnée par le projet politique de Buhari. Sans vouloir expliquer le texte limpide du politologue, il nous a semblé nécessaire de partager cette belle réflexion avec nos lecteurs.

Il est à signaler que ce texte est tiré du blog d’un certain Guillaume SORO, président de l’assemblée nationale ivoirienne, et candidat non déclaré à la succession d’ADO…


Texte intégral.

Le pouvoir absolu corrompt absolument. L’accaparement permanent et continu des moyens de l’Etat, contre la volonté du peuple, est la porte ouverte à l’instabilité politique et au péril collectif. Gouverner c’est prévoir et prévoir vraiment, c’est aussi prévoir de ne plus éventuellement gouverner. Or les ors et lambris, les fastes et le luxe du pouvoir fonctionnent souvent comme des voiles épais jetés sur ces pensées de bon sens. Combien de fois aura-t-il fallu le répéter aux femmes et hommes politiques africains depuis les Indépendances ? On connaît la vieille tactique des obsédés du palais présidentiel : avant d’accéder au pouvoir, ces ambitieux promettent toujours de mieux faire que leurs prédécesseurs. Avant eux, c’était le désastre. Après eux, clament-ils avec pompe, ce sera une heureuse prospérité parce qu’ils serviront le peuple au lieu de se servir du peuple. La réalité est souvent tout autre : misère de masse, corruption d’Etat, imprévision dans la gouvernance, gâchis en vies humaines et en richesses naturelles, mépris des droits humains, acculturation massive des citoyens, telles sont les grandes caractéristiques de la majorité des régimes du continent africain. Que de bonnes intentions pavent le chemin des peuples africains en marche vers la démocratie moderne ! Ce qui vient pourtant de se passer au Nigéria, où le président sortant, Goodluck Jonathan Ebele a accepté de reconnaître le choix souverain du peuple nigérian qui l’a déchargé des fonctions suprêmes de l’Etat, ne saurait manquer de questionner l’observateur politique africain. Non pas simplement en raison du contraste évident entre le cas Goodluck en 2015 et les cas réfractaires d’un Laurent Gbagbo en 2010 ou d’un Paul Biya en 1992, mais pour des raisons plus profondes. Mon ambition dans les lignes qui suivent sera précisément de tenter de dégager trois leçons essentielles de l’épisode électoral nigérian : 1) Une leçon proprement politique, quant au fatalisme qui paralyse de nombreuses luttes citoyennes africaines en déshérence ; 2) Une leçon morale, quant à la conscience du sens de l’Histoire qui se fait jour dans les classes politiques africaines ; 3) Une leçon civilisationnelle sur ce qui pourrait finalement constituer l’originalité universalisable des démocraties africaines.

 

I/ Naissance du citoyen émancipé des particularismes ethnoreligieux

Le Nigéria vient de donner une leçon de politique concrète aux Africains de tous bords. Il a surpris toutes les prévisions pessimistes qui hantaient son horizon. Voici un pays qu’on disait clivé par l’opposition et la rivalité Nord-Sud, Islam-Christianisme, de telle sorte que le Nord et le Sud seraient éternellement condamnés à une confrontation tragique, qui signerait même à terme la bipartition du Nigéria. Or que voit-on à l’occasion de la victoire du Président, ex-Général Mohammadu Buhari contre le Président sortant Jonathan Goodluck ? D’abord que le fameux équilibre ethno-démographique supposé être favorable au candidat originaire du Sud n’a pas suffi à lui assurer la victoire qu’il escomptait. Ensuite qu’une campagne politique proactive, défendant une vision assurée du Nigéria par un homme d’expérience comme Mohammadu Buhari a réussi à convaincre des nigérians du nord et du sud, en très grande majorité, de voter pour lui. Enfin que dans nos Etats Africains, où les majorités se comptent désormais par dizaines de millions et non plus par unités de millions comme ce fut le cas à l’orée des Indépendances, le tripatouillage électoral est un risque grave pour les élites politiques qu’aucune organisation étatique ne saurait protéger de la colère des peuples organisés en corporations disciplinées et décidées. En un mot, la leçon politique de cette élection est bien la suivante : désormais, les citoyens africains, loin d’être prisonniers de l’ethnie ou de l’appartenance religieuse de leurs élites politiques, choisiront tout simplement en connaissance de cause, ceux qui pourront leur donner suffisamment de gages d’une plus grande sécurité, d’une prospérité assurée et d’une réelle égalité de chances dans l’espace public. Les logiques de bétail électoral sont en passe d’être remplacées par les logiques de conviction politique à travers le continent. Du coup, la communication politique - avec notamment un usage efficace de la mémoire historique des peuples- ne devient-elle pas le nerf des nouvelles luttes démocratiques africaines ?


II/ La conscience de l’Histoire moderne dans l’élite politique africaine

Le Président Goodluck Ebele Jonathan fait désormais partie d’une lignée d’hommes politiques africains qui se sont illustrés par trois comportements considérés comme exemplaires en raison de la jeunesse des systèmes démocratiques africains : la reconnaissance de la défaite, la transmission du pouvoir et le retrait pacifique du pouvoir. Reconnaître sa défaite, c’est d’emblée se dominer soi-même. La pulsion politique usuelle du Chef africain vise la pérennité au pouvoir en vue d’une succession avantageuse et d’une mort de première classe dans les honneurs solennels de la nation. Reconnaître sa défaite, c’est réprimer la pulsion jouissive du pouvoir par la remémoration de son caractère contingent. C’est aussi éduquer son propre camp politique aux vertus de l’honnêteté politique, et ainsi à la conscience de l’unité morale qui doit inspirer les nations libres. La transmission du pouvoir est aussi devoir de reconnaissance envers le peuple qui le retire à un sortant, pour le confier à un entrant. C’est faire honneur au droit des peuples à déléguer par alternance leurs pouvoirs aux élus, mais aussi à opter quand ils le souhaitent, pour une alternative qu’ils préfèrent à celle du pouvoir sortant.

Le retrait du pouvoir est l’indication assumée qu’une autre vie est possible après la politique, comme une autre vie fut possible avant la carrière politique. Les nations qui voient leurs grands hommes se retirer des affaires en conçoivent donc, paradoxalement, une plus grande confiance en leurs institutions puisqu’elles expriment exactement leurs aspirations et leur exigences envers eux-mêmes, leurs idéaux. Comment nier que les Jerry John Rawlings, Julius Nyerere, Senghor, John Kufuor, Abdou Diouf, Mathieu Kérékou, Nelson Mandela ou Thabo Mbeki participent par leur reconnaissance du choix souverain des électeurs, de l’instauration d’un habitus africain de la pratique désintéressée du pouvoir politique ? Un habitus, c’est une forme de vie qui devient habitude par son efficacité et sa fécondité avérée. L’habitus de la souveraineté démocratique des peuples africains n’est-il pas en train de prendre pied dans le continent, y compris dans la conscience des élites politiques de gauche, de droite et du centre en Afrique ? La conscience de l’Histoire émergente dans l’élite politique africaine est donc celle du sacerdoce de la chose publique et de la nécessité pour chacun, de respecter ce Bien Commun qui par nature fait que le pays demeure vivant pendant que les hommes, mortels, passent.


III/ Leçon civilisationnelle nigériane

Ce qui s’est passé au Nigéria, démocratie la plus peuplée du continent, nous impose enfin de sortir de l’ornière d’un certain afro-pessimisme qui enferme systématiquement les choix politiques des citoyens et peuples africains dans les ornières de l’ethnie, de la religion d’appartenance ou tout simplement de la corruptibilité clientéliste. Si les Nigérians avaient choisi l’option de l’ethnie, il est probable que le Nordiste Haoussa Mohammadu Buhari n’aurait pas fait le poids devant la coalition démographique des ethnies sudistes Yoruba et Ibo rangées derrière Goodluck Jonathan. Si les Nigérians avaient voté sur des bases exclusivement ethnoreligieuses, le grand Sud chrétien aurait probablement encore emporté le vote face au Nord musulman. Il est fort donc probable que les Nigérians ont plutôt voté sur des bases pragmatiques, qui supposent la comparaison des programmes, la comparaison des personnalités en compétition, mais aussi la prise en compte des réalités géopolitiques du moment. Je voudrais précisément montrer ici qu’en se hissant à de tels critères, le peuple nigérian donne aux peuples et opinions africains, une leçon civilisationnelle, au sens où ils montrent la capacité des Africains à produire une universalité démocratique originale.

Le passage de Goodluck Jonathan à la tête de l’Etat du Nigéria aura été marqué par un bilan contrasté de sa gestion du pouvoir : certes il aura réussi à maintenir, contre vents et marées la continuité de l’Etat nigérian après la mort prématurée du président Umaru Yar’Adua, et malgré les contestations de toutes sortes essuyées par son régime. Certes encore, sur le plan sous-régional, le président Goodluck Jonathan aura réussi à maintenir tant bien que mal la présence du Nigéria comme un géant au cœur de la CEDEAO dans le règlement des conflits ouest-africains et le suivi des crises malienne, guinéenne, bissau-guinéenne et même ivoirienne. Mais l’échec du régime Jonathan se sera affiché sur le double plan socioéconomique et sécuritaire. Avec un pays qui comptera bientôt 180 millions d’habitants, le Nigéria sera bientôt le 3ème pays le plus peuplé au monde. Le chômage massif de la jeunesse et la persistance de la haute-corruption d’Etat auront malheureusement contribué largement à discréditer la parole et l’action gouvernementales. Sur le plan sécuritaire en outre, l’incapacité de l’armée nigériane à résorber les attaques de la secte Boko Haram s’est soldée par une humiliation sans précédent depuis la Guerre du Biafra dans les années 70, pour l’Etat du Nigéria, qui a abandonner des portions importantes de son territoire à la violence sans nom des sbires de Shekau Abubakar. Le Nigéria a dû recourir à l’aide tchadienne pour reconquérir certaines de ses villes, fait inédit dans l’histoire de ce géant aux pieds devenus d’argile. Par réalisme politique, les Nigérians ont choisi par-delà le clivage Nord-Sud ou Chrétiens-Musulmans. Très clairement, les Nigérians ont donc probablement estimé qu’en raison de son statut socioéconomique de grand bourgeois nigérian, de sa formation militaire d’officier supérieur, et de sa fine connaissance des arcanes politico-militaro-financiers du pays, l’ex-Général Muhammadu Buhari remplit mieux les critères pour redonner espoir au pays sur les plans sécuritaire et socioéconomique.

N’entrons-nous pas résolument ainsi dans une immense civilisation africaine de la démocratie qui, sans angéliser les hommes politiques ou leurs partis, promeut désormais la confrontation pied-à-pied des visions concurrentes de la cité, sous le prisme et la pression constants de la souveraineté démocratique populaire ? Il y a civilisation démocratique là où, sans renier ce que la société est devenue, les institutions sont pliées par la force de l’engagement citoyen et par la prise de conscience des élites, aux exigences de bien-être, de justice et de liberté qui urgent d’autant plus que les villes deviennent cosmopolites, surpeuplées et sans pitié envers le bricolage des temps anciens. L’Afrique du 21ème siècle sera massivement dans les Cités. Si elles ne s’organisent pas sur des bases justes, rationnelles et raisonnables dans l’intérêt de tous, elles seront les cimetières de nos sociétés. Si elles réussissent à s’en sortir, ce sera grâce au dépassement de l’individu ethno-religieux par le citoyen face aux pouvoirs, qui ne croit qu’en l’universalité de la justice et du droit quotidiennement expérimentés dans les rapports d’homme à homme. Espérons que l’aurore ainsi annoncée au Nigéria traverse bientôt l’obscure Afrique Centrale, où la souveraineté populaire des Africains attend enfin de sortir des fourches caudines d’une bourgeoisie politique en rupture de ban avec les peuples. Et ce ne sera qu’espérance pour des millions de jeunes entassés dans les cales des nouveaux négriers nègres…L’universalité démocratique africaine, c’est la manière africaine de s’approprier la démocratie et de l’inventer sans en nier les avantages d’ailleurs ou en ignorer les inconvénients d’ici. La démocratie, ici comme ailleurs se réinvente toujours, dans une orientation fondamentalement une, toutefois : promouvoir la Vérité, la Justice et la Liberté pour tous, sans discrimination.


Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie, Paris, France


http://www.guillaumesoro.ci/actualite/la-lecon-democratique-nigeriane-meditations-democratiques-africaines_2955_1428333606.html