coran32LE PLUS. Le 3 octobre dernier, une spectatrice qui assistait à une représentation de "La Traviata" à l’Opéra Bastille a été priée de quitter les lieux. Pourquoi ? Parce qu’elle portait un voile couvrant son nez et sa bouche. La direction de l’Opéra était-elle dans son bon droit ? Oui, mais c’est compliqué. Décryptage avec Anne-Sophie Laguens, avocate.

La loi avait-elle vocation à s’appliquer quand on a demandé à cette touriste du Golfe voilée de quitter l’Opéra Bastille pendant une représentation de "La Traviata" ? Eh bien oui. Mais dans le même temps s’est opérée une discrimination.

Pas de discrimination selon la loi

La loi du 11 octobre 2010 dispose que "nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage". Vous l’aurez remarqué, elle n’évoque pas spécifiquement les vêtements religieux. C’est pourquoi les masques, les casques ou les bandanas (que l’on peut retrouver pendant les manifestations) sont eux-aussi concernés. La loi est totalement indépendante des signes religieux, sauf dans les écoles.

À côté de cela, il y a quand même une certaine tolérance vis-à-vis de cette loi. Soyons lucides, la burqa n’est que très peu portée en France et le port du hijab n’est pas interdit (sauf encore une fois dans les écoles publiques).

Si cette femme avait été contrôlée à l’extérieur de l’opéra, la loi se serait appliquée et elle aurait écopé d’une contravention contre laquelle elle n’aurait rien pu dire, et c’est normal.

 

Une discrimination dans les faits

En revanche, à l’intérieur de l’Opéra, il semble difficile de lui interdire l’accès au spectacle alors qu’elle a payé sa place. Les choristes ont menacé d’arrêter de chanter si elle ne quittait pas la salle. La salle étant elle-même plongée dans le noir, on imagine mal comment cette femme pourrait gêner quiconque. Cela me paraît d’autant plus capillotracté qu’on n’est pas en présence d’un trouble à l’ordre public mais bien d’une discrimination.

Et quand bien même il y aurait eu trouble à l’ordre public, la direction de l’opéra n’aurait pas eu le pouvoir d’intervenir.

En cohérence avec la circulaire d’application du 2 mars 2011, un agent chargé d’un service public peut refuser l’accès à un service public à une personne dont le visage serait dissimulé. En revanche, il ne peut pas la forcer à se découvrir ou à quitter les lieux (il peut l’inviter à le faire, mais pas la contraindre). A fortiori, une personne extérieure à tout service public ne saurait contraindre quelqu’un à quitter les lieux.

 

Un contrôle en dehors de l'Opéra ?

On peut bien sûr comprendre qu’un visage dissimulé puisse poser problème dans certains compartiments de la République (photos d’identité, de passeport, etc.). Pour autant, on ne peut pas dire que le port de ce voile pose dans ce cas précis – un spectacle à l’Opéra – un problème particulier, d’ailleurs les contraventions sont rares à ce titre.

En bref, il y a un bien eu une discrimination dans les faits, mais pas dans la loi puisqu’encore une fois, celle-ci n’a pas vocation à concerner exclusivement les vêtements religieux. Soit on lui interdisait strictement l’entrée de l’Opéra moyennant un contrôle, soit on la laissait assister au spectacle.

 

 

 

Propos recueillis par Henri Rouillier.

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