poesie-coloreChers lecteurs, voici un autre sublime poème que nous vous offrons. Dégustez sans hésitation et c’est seulement sur www.guinee58.com.

 

                               DÉPOSITION 


Dans la vieille ville je cheminais chancelant 
Sous l’emprise bourbeuse de ses terres. 
Dans la vieille ville ; cette ville lauréate de la honte et de l’hypocrisie, 
Cette ville asphyxiée par la fumée suffocante de vieux engins 
Et l’haleine lourde mensongère de ses hommes, 
J’étouffais à bout de course. 

Dans la vieille ville, l’espérance mordue par des chacals à gage dressés
Vivotait encore quelque part là-bas 
Où le sommeil et le rêve sont absents. 
Cette ville qui pue d’injures et de peur, 
Cette puanteur d’œufs pourris se rependait dans le vent 
Comme le pet d’une vedette. 

Dans la vieille ville, l’amour en otage, la prostitution impératrice
Les larmes en pluie drainent les ordures sur toutes esplanades. 
Dans la vieille vivait encore ce roi trompeur de ses sujets, 
Qui vont et viennent naïvement enchantés. 
Dans la marche, on me fit visiter le mausolée du pardon 
Dont les ossements à un nombre démesuré de pieds sous terre se baladaient, 
On me fit aussi visiter les châteaux de la haine et du désespoir qui s’injuriaient. 

Dans la vieille ville, les âmes ont leur désespoir au ciel. 
Cette ville ne se souvient plus de sa mémoire 
Qui aurait perdu le souvenir de ses martyrs. 
Cette ville s’est débarrassée de ses érudits 
Et s’est transformée en cimetière des adeptes de la culture. 

Dans la vieille ville, ces taudis que nous appelons nos maisons, 
Serrées, obscures comme une tombe d’un homme-Satan, 
Oui, c’est là où nous dormons dans l’aigreur de la faim. 
Oui la faim ! 
Elle, sans retenue, sans précédent 
Elle, sans maître, sans issue, sans peur aucune
Elle, reine des vieilles habitudes. 

Dans la vieille ville médiocrement imbibée de bonté, 
Cette ville aux martyrs cravatés sur la gorge des ponts, 
Cette ville au sommet de vieilles dupes, 
Les temples de sciences ont par terre les vieux murs. 

Dans la vieille ville, la potence 
Allais-je dire la pitance empoisonnée faisait campagne. 
Cette ville de cris éphémère et pathétique des larbins, 
Cette ville souffrante de maladie virale 
Reste encore mal diagnostiquée. 

Dans la vieille ville, ces femmes encore mutilées et forcées, 
Ces femmes encore résignées 
Ces mères, ses sœurs 
Elles, toutes dénudées, aux tètes en polyesters
Et à la peau dépigmentée. 
Oh ces femmes ! 

Dans la vieille ville embouteillée de misère, 
Cette ville d’extrême perversité, de nudité, d’insécurité, de tortures, 
De méchanceté, de pauvreté, de gabegie, d’incrédulité de corruption…
Mon Dieu pardonné moi du peu !
Vivote quelque part là-bas mon boiteux folklore. 

Dans cette vieille ville la mère tue avec mépris son bébé, 
La poule retire la graine au petit poussin, 
Le protecteur agresse gaiement son protégé. 
Dans cette vieille ville la justice avait pliée bagage 
Et les droits de l’homme arpentés les routes secondaires. 

Dans cette vieille ville, 
Où le chapitre avait échappé aux voix échouées, 
La poussière était soulevée par les pas des enfants, 
Des enfants orphelins et amputés abandonnés à leur triste sort, 
Ces enfants, je les serrais inlassable dans mes bras, 
Et avec ce câlin je ressentis la chaleur perdue d’autrefois. 

Cette ville portera les cicatrices de toutes les blessures, 
Les blessures de toutes les âmes qui y vivent, 
De ses âmes qui crachent partout, méprisées jusqu’à la sève, 
Ces âmes aux maillons déchaînés, 
Ces âmes oublieuses de l’espérance. 

Cette ville lâche, menteuse, imbécile, satanique
Avait même la moelle sucée, 
Et dans la marche sur ces terres vétustes j’entendais des cris. 
Assez ! Assez ! 
Pitié ! Pitié ! 
Pitié nous n’en pouvons plus ! 
Nous ne pouvons plus avaler ces œufs pourris 
Et nous désaltérer de nos urines. 

Assez le sang ! 
Notre sueur qui coule suffira bien, 
Assez nos pieds sur cette route épineuse d’angoisses ! 
Assez ces suicides ! 
Assez cette ville est rassasiée de malheurs !

Conakry , puisse à tes yeux
Se voiler mon désespoir de demain ? 
Puisse atteindre ma déposition 
Mère de ta délivrance, 
A Dieu !

Mohamed Lamine KEITA, In Souvenirs de Septembre, Editions Edilivre, Paris 2009.