gassama_diabyRécemment le ministre des DH s'est offusqué de constater que des militaires avaient fait 30 mois de détention préventive, là où le Code de procédure pénale en prévoit 24 au maximum (article 142-2) et dans des conditions très strictes (atteinte à la sûreté de l'État notamment). Cela dénote une mauvaise foi évidente, car ces violations ont déjà été dénoncées auparavant (y compris celles d'autres militaires incarcérés sans jugement, au sujet des massacres du 28 Septembre 2009), et ce Ministre ne peut pas, ne pas être informé, ce qui traduirait une incompétence notoire, pourtant non constatée jusqu'alors.

A l'occasion d'une entrevue sur Africaguinée1, il revient sur son action (ou inaction), ce qui nous amène à nous poser la question de savoir à quoi il sert.

« Il faut donc désormais moins parler et faire agir le droit »

Lorsqu'il indique qu'il faut : « exprimer la volonté et la détermination du Gouvernement à renforcer et accentuer ses efforts et ses actions pour lutter efficacement contre les toutes les violations de Droits humains. Ce qui d'ailleurs est une obligation impérative pour l'État en tant que principal débiteur en matière de protection, de respect et de promotion des Droits de l'Homme. En soulignant que ces efforts doivent consister à agir concrètement contre toutes les formes de violences, d'où qu'elles viennent, à agir contre toutes les formes d'injustices quel qu'en soit le motif, à agir contre toutes les formes de discriminations, en faisant prévaloir en tous lieux et en toutes circonstances l'état de droit. C'était aussi l'occasion d'exprimer notre préoccupation face au problème de l'impunité et de ses dégâts politiques, sociaux et moraux dans notre pays. Car il faut bien le noter, aucune volonté de promotion et de protection des droits de l'homme n'est concevable sans une lutte concrète et immédiate contre cette impunité qui est devenue un véritable problème pour notre besoin d'État de droit démocratique, et notre désir de justice, de liberté et d'égalité ».

On croit rêver. Est-il le porte-parole des ONG de lutte pour la protection des droits humains, et l'on comprendrait alors son discours, ou est-il membre du gouvernement chargé de mettre en œuvre (non discourir) ce qu'il prône ?

Lorsqu'il ajoute que « nous avons eu des discussions intéressantes autour du plan d'action annuel de mon département… notamment sur la mise en place d’un observatoire des détentions arbitraires, les tortures, les violences faites aux femmes et sur l'impunité ».

Je crois qu'un Observatoire n'est utile que lorsque les Guinéens ne voient rien. En Guinée, tout le monde sait ce qui se passe, y compris le Ministre des DH. On pourrait donc gagner du temps.

Enfin le clou de son intervention est atteint lorsqu'il affirme : « tout le monde est d'accord sur le constat, maintenant il faut agir, en donnant les preuves concrètes du changement et du retour effectif de l'État de droit et des ses impératifs », et qu'il ajoute en outre : « il faut donc désormais moins parler et faire agir le droit, avec pour seul impératif le souci de justice, de la légalité et de la tranquillité publique ».

Nous sommes entièrement d'accord, alors qu'attend-il ?

Il ajoute encore qu' : « il est navrant de constater dans notre pays, notre incapacité à discuter, à dialoguer pour régler nos différends, nos conflits. C'est une préoccupante expression de notre manque de culture démocratique et de l'incapacité des représentants de l'État à assumer leurs missions régaliennes dans le strict cadre légal ».

N'est-il pas lui-même représentant de l'État ?

« Je fais mon travail, que cela plaise ou non »

Surtout lorsqu'il rappelle que : « pour ce qui me concerne, avec le soutien du chef de l'État, je fais mon travail, que cela plaise ou non. Je ne suis pas là pour plaire, mais pour faire un travail de promotion, de respect et de protection des Droits de l'homme ».

Quel en est le bilan concret ? La promotion peut-être, quant au reste...

Le ministre nous fait rire jaune lorsqu'il dit que : « notre pays a connu et connaît encore trop d'injustices, de violences en tout genre, d'inégalités de toutes sortes, ainsi qu'une culture d'impunité problématique. Cela doit absolument cesser si nous voulons une vraie démocratie et une société qui soit réellement respectueuse des Droits et libertés de chaque citoyen ».

Sans doute devrait-il nous rappeler à quoi il sert, quel est le contenu de sa tâche, et surtout en quoi elle consiste concrètement. J'avais cru naïvement que tout ce dont il parle constituait justement le contenu de ce pourquoi il avait été nommé. On nous aurait menti ?

Il est vrai que ce ministre semble en connaître la réponse lorsqu'il rappelle que : « pendant que les uns vous accusent d'en faire trop [quoi exactement ?], les autres vous reprochent de ne pas en faire assez. Vous serez toujours alors soit un traître, soit un complice, soit une caution ».

Sans vouloir l'accabler outre mesure, et la sincérité de son combat en l'accusant de complice (ce juriste doit néanmoins savoir qu'il est coresponsable des actes criminels du gouvernement auquel il participe), on peut conclure qu'il est la caution (le gadget) de ce gouvernement.

Ce ministre gadget tente maladroitement de justifier son inaction au sein de son département, en indiquant qu'il est à la croisée de toutes les critiques. Il a parfaitement raison de ne pas répondre à ceux qui l'accusent de traître, de complice ou de caution morale de ce régime.

En revanche, il est complètement à côté de la plaque lorsqu'il affirme : « moi je n'ai rien à prouver à personne, rien à justifier ». C'est un mépris pour tous les citoyens qui attendent au contraire de leurs gouvernants des comptes, et force est de constater qu'au soir du bilan de son département, la seule chose qui compte, celui-ci est particulièrement famélique, pour ainsi dire inexistant.

« Je ne suis pas non plus indispensable »

Je suis donc parfaitement en phase avec lui lorsqu'il dit : « je ne suis pas non plus indispensable. Il y a bien d'autres Guinéens, à l'intérieur comme à l'extérieur, qui peuvent faire le même travail ».

Comme il a bien raison. Un analphabète ne pourrait pas comme lui, faute d'éloquence, aller brasser du vent sur les plateaux télé ou les radios, mais en termes de résultat... nul, n'importe quel Guinéen est capable... de ne rien faire. Je crois même que TOUS les Guinéens pourraient en faire de même, car cela ne doit pas particulièrement difficile !!!

Nous avons enfin la vision du ministre qui annonce qu'il n'a « aucune intention de changer [sa] manière de voir et de faire les choses, parce qu'elle est sincère, uniquement exclusivement animée par l'intérêt général : dire les vérités amères, dénoncer toutes les violations des Droits de l'homme d'où qu'elles viennent ».

Il l'avoue lui-même, il n'est qu'une vigie. On se demande donc en quoi sa fonction de président d'une ONG devait se transformer en un ministère dont la fonction est la même. L'OGDH par exemple, qui possède quelques plaintes à son actif, était donc plus qualifiée pour l'être.

Il justifie enfin son inaction par le fait que les Guinéens « qui pensent qu'il faut tout changer tout de suite et maintenant, dans un pays qui s'est toujours caractérisé par la culture de violence, celle de l'État et de la société, par la faillite de l'État, par l'inculture démocratique de la société, par l'ethno-stratégie, je les renvoie à leur naïveté ou à leur dogmatisme ».

Personne ne dit que tout peut-être changé en claquant des doigts, mais en revanche instruire des enquêtes en cas de crime, poursuivre les crimes lorsqu'ils se commettent est un minimum. Il y a des hypocrites qui instruiraient des enquêtes qui se perdraient dans la profondeur des procédures, mais au moins l'honneur serait sauf. Là le message est clair : certains citoyens sont des citoyens de seconde zone, et le ministre des DH est complice de cette posture.

En définitive, le bouffon du roi s'est encore agité, pour dire qu'il se préoccupe d'individus illégalement détenus, bien qu'il ne faille pas confondre les définitions respectives de l'expression « s'occuper de ». Dans mon esprit, cela signifie faire cesser l'illégalité en libérant les détenus. Dans l'esprit du ministre, cela signifie en parler. Pourtant l'un de mes premiers constats concernant ce régime, était de signaler que ce dernier considérait qu'il suffisait de parler d'un problème (les États généraux de la justice par exemple en 2011), pour que ce dernier disparaisse comme par enchantement. Voilà, le ministre a parlé du problème de ces détenus, donc circulez, il n'y a plus rien à voir, le problème est résolu. On reste baba de voir comment des intellectuels, sans doute sincères au départ, puissent être rapidement tirés vers le bas, pour finalement croire en leurs propres balivernes.

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).